De nombreux commentateurs saluent le résultat des présidentielles en citant les mots prononcés par le socialiste Alexandre Bracke-Desrousseaux le 10 mai 1936 après la victoire du Front Populaire : « Enfin les difficultés commencent pour nous ! ». Je serai tenté de dire : sachons tout d’abord savourer la victoire de François Hollande. Savourons notre victoire ! C’est ce qu’a fait le 6 mai au soir le peuple de gauche. À Paris à la Bastille, à Nantes place Royale où nous nous sommes retrouvés à plus de 3000 à chanter et danser avec le groupe Noisy Doll et Jean-Claude Crystal (mille excuses à tous ceux qui étaient place Royale dès 20h : nous avions décidé de n’installer le camion avec la sono qu’à partir de 21h, ne voulant pas donner l’impression d’être trop sûrs de notre victoire… ce que nous n’étions pas totalement !) .
Un air de 1981 ? Oui certainement comme à chaque fois que les forces de progrès l’emportent. Mais sans doute avec plus de gravité, tant la crise du capitalisme est forte. La situation en Grèce (avec le refus du peuple grec d’être plus longtemps victime de l’austérité imposée par l’Union européenne au profit des banques européennes), la situation en Espagne (où la jeunesse se désespère de voir son avenir sacrifié) résument assez bien les données du problème. Il nous faut desserrer l’étau des forces de l’argent au plan européen ! L’élection de François Hollande, qui a clairement dit qu’il refuse l’austérité comme horizon indépassable de l’Europe (*), suscite un grand espoir en Europe ! Il nous faut ne pas le décevoir !
Tout est possible ?
De 1936, je préfère retenir le titre de cet article écrit par le leader de la gauche de la SFIO , Marceau Pivert : « Tout est possible ! ». Bien sûr, c’était le 27 mai 1936, alors que le mouvement social prenait son essor et allait imposer des conquêtes sociales que le Front populaire n’avait même pas osé inscrire dans son programme électoral (les congés payés, la réduction de 48 h à 40 h de la semaine de travail…).
La situation n’est pas la même me direz-vous. Certes ! Mais nous vivons une crise du capitalisme qui pourrait devenir aussi importante que celle de 1929. L’extrême-droite en profite électoralement comme à l’époque. Il s’agit, une fois de plus, pour celles et ceux qui se réclament du socialisme de rassembler et d’unir pour qu’une alternative et une issue progressiste se dessinent.
La base sociale de la gauche
François Hollande a su rassembler électoralement la majorité du salariat. La classe salariale représente 93 % de la population active. Au sein du salariat, il y a un peu plus de 60 % d’ouvriers et d’employés. Et 90 % des salariés gagnent moins de 3200 euros nets par mois. Ouest-France (12-13 mai) parle de vote de classe et de retour à une logique de classe sociale. En effet ! « Nicolas Sarkozy n’est majoritaire qu’à partir de 3000 ou 3500 euros par mois » (Bruno Cautrès, chercheur CEVIPOF).
Les clés du succès électoral seront les clés du succès du quinquennat : rassembler et gouverner pour les « nôtres », la majorité sociale de ce pays. La question sociale et notamment la question salariale sont essentielles, avec tout ce qui en découle en termes de protection sociale et de retraites. Les négociations sociales qui vont très vite démarrer seront déterminantes. Qu’une majorité de ceux qui se disent proches d’un syndicat de salariés aient voté très majoritairement pour François Hollande l’atteste : le mouvement social est disposé favorablement envers François Hollande. Ceux qui parient déjà sur un mouvement social contre la gauche au gouvernement se trompent. Il faut au contraire compter sur un mouvement social qui « pousse », qui aide la gauche au pouvoir. Un gouvernement dans lequel il est nécessaire que toutes les composantes se retrouvent : PS, Europe écologie les verts et Front de gauche. La France est un pays riche, qui souffre d’inégalités croissantes. Nous avons besoin d’un gouvernement de la gauche unie pour prendre à la fois des mesures de relance économique et des mesures de redistribution des richesses, de justice fiscale et sociale.
François Hollande a deux atouts que d’autres gouvernements de la gauche n’ont pas eus : un Sénat à gauche, et des Conseils régionaux presque tous à gauche. Quand on sait le rôle croissant des régions dans le domaine économique (rôle qu’un acte 3 de la décentralisation devra confirmer et accroître), les régions pourront se mettre au service de la relance et jouer un rôle essentiel dans la constitution d’une banque publique d’investissements.
Pour l’heure, il nous faut confirmer aux législatives le résultat des présidentielles. Il faut donc repartir en campagne. Donner une majorité à François Hollande s’impose. Il faut donner une majorité au changement pour que tout redevienne possible !
(*)Cette formule utilisée par François Hollande fait clairement allusion à cette phrase malheureuse du congrès de l’Arche (de la Défense) du Parti socialiste : « le capitalisme, horizon indépassable de l’humanité ». C’était en décembre 1991. Sous pression libérale, la social-démocratie intégrait nombre de présupposés de l’adversaire…cela amena en France à la défaite électorale de 1993. Et au plan européen, Tony Blair et Gérard Schroeder se sont fait les chantres de cette orientation (la « troisième voie ») qui s’est vite révélée une impasse.
Belle analyse Eric : bravo !