Je reproduis ci-dessous un article écrit pour la revue mensuelle Démocratie&Socialisme. Depuis, la Commission européenne a renoncé à soumettre au vote sa proposition de réglementation des perturbateurs endocriniens. Il existe pourtant une disposition d’un règlement européen de 2009 sur les pesticides visant à interdire l’interdiction des pesticides identifiés comme perturbateurs endocriniens.
« Halte à la manipulation de la science » : ainsi sʼintitule une tribune parue dans Le Monde du 29 novembre dernier et co-signée par une centaine de scientifiques. Ils appellent à prendre des mesures urgentes pour prévenir des dangers des perturbateurs endocriniens pour lʼhomme et lʼenvironnement.
Plus encore, ils dénoncent les manœuvres visant à dénaturer les acquis de la recherche. « Après les climato-sceptiques qui contestaient les preuves scientifiques de l’origine humaine dans le réchauffement climatique, ces produits chimiques sont aujourd’hui la cible des « marchands de doute » », peut-on lire dans cet appel. Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques dʼorigine naturelle ou artificielle, étrangères à lʼorganisme. Elles peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire des effets néfastes sur lʼorganisme dʼun individu ou sur ses descendants.
Conflits dʼintérêts
Pour les signataires de cet appel, « le doute nʼest pas permis, les perturbateurs endocriniens sont nocifs et lʼUnion européenne notamment doit agir ». Or, écrivent-ils, « le projet dʼétablir une réglementation de ce type […] est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant lʼimpression dʼune absence de consensus, là où il nʼy a pourtant pas de controverse scientifique ». Une entreprise de fabrication du doute déjà utilisée « dans plusieurs domaines comme les industries du tabac et de la pétrochimie ou le secteur agrochimique ». Pour ces scientifiques, « jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal (cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate, troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non-descente des testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la qualité spermatique). La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes sʼaccordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, donc les produits chimiques capables dʼinterférer avec le système hormonal » .
Ce que propose la Commission européenne est « très éloigné des mesures nécessaires pour protéger notre santé et celle des génération futures ». Les signataires appellent à la création dʼun groupe ayant le même statut international et les mêmes prérogatives que le Groupe dʼexperts intergouvernemental sur lʼévolution du climat (Giec). Placé sous lʼégide de lʼONU, il « mettrait la science à lʼabri de lʼinfluence des intérêts privés ».
Ouvrir un débat public
André Cicolella1, chimiste et toxicologue, président du Réseau environnement santé (RES), explique que « les perturbateurs endocriniens sont une des causes majeures de lʼexplosion des maladies chroniques ». Pour lui, ils constituent « le chaînon manquant dans lʼanalyse du lien entre santé et environnement ». Les cancers qui progressent le plus dans le monde sont en effet les cancers hormono-dépendants qui touchent les seins et la prostate. Par ailleurs, la progression des trois principales affections de longue durée (ALD) au niveau national est alarmante : 24 % pour le cancer, 49 % pour lʼaccident vasculaire cérébral et 52 % pour le diabète. « Ces données invalident tous les arguments du discours dominant sur le vieillissement démographique comme cause principale, voire exclusive, de la progression des affections de longue durée ». Et il ajoute : « Passer dʼune politique de santé uniquement centrée sur les soins à une politique plus équilibrée qui se préoccupe aussi dʼagir sur les causes. Il faut mettre la question de la crise sanitaire dans le débat public ».
L’industrie chimique et pétrochimique s’est mobilisée pour que « la définition des perturbateurs endocriniens soit aussi limitée que possible, parce qu’elle veut continuer à mettre ses produits sur le marché sans que n’intervienne le moindre régulateur », selon Stéphane Horel2. Une fois de plus, de grands multinationales, qui ne manquent pas d’adopter des chartes éthiques et de se revendiquer de la démarche de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont des pratiques fort éloignées de leurs discours. La logique du profit maximum est décidément contraire à toute vraie démarche de progrès et au développement harmonieux de l’humanité.
- Alternatives Économiques, mars 2014.
- Stéphane HOREL, Intoxication, La Découverte.