Vendredi soir dernier, l’équipe du Montluc-Cinéma inaugurait son installation numérique. J’y représentais le Conseil régional. L’occasion ici de revenir sur la politique d’aide à la numérisation des salles de cinéma de la région.
Le Montluc-Cinéma, association loi 1901, existe depuis près de 80 ans. Animé et géré par une soixantaine de bénévoles, il organise entre 5 et 9 séances par semaine pour tous les âges. Classée Art et Essai, la salle défend un projet culturel essentiellement tourné vers les jeunes et les séniors. Une offre culturelle essentielle pour les habitants de Saint-Étienne-de-Montluc et des alentours, et que le Région entend bien préserver et développer.
Un peu de lumière sur les salles obscures
Depuis 2007 une petite révolution agite le monde des exploitants de salles de cinéma : le passage au numérique. Moins onéreux que la pellicule 35mm argentique (150 € pour une copie numérique, 1 200 € pour une copie argentique), le format numérique est en train de s’imposer tant au niveau de la production, de la distribution que de l’exploitation.
Si les bénéfices pour les distributeurs sont au rendez-vous (coûts de production et de transport moindres), les exploitants de salles ont eu, quant à eux, à faire face à une modernisation coûteuse des équipements : au bas mot 70 000 € pour un nouvel équipement, sans compter les frais afférents (câblage, installation de serveurs informatiques, formation des projectionnistes…)
S’adapter ou mourir… mais à quel prix ?
Malgré cela, le mouvement poursuit sa route, puisque de 5 % des 5500 écrans que comptent la France équipés en numérique en 2008, ce chiffre atteignait les 55 % en septembre 2011, soit plus de 3 000 écrans.
Ce mouvement d’apparence homogène ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Car les disparités sont réelles entre les grands et moyens réseaux d’exploitants pouvant supporter un tel investissement et les exploitants indépendants. Ces derniers représentent tout de même 70 % des équipements nationaux, et sans l’intervention publique, cette modernisation aurait pu coûter cher à l’animation culturelle des territoires via le 7e art.
Car un exploitant indépendant ne pouvant passer au numérique se retrouverait vite relégué dans la 2e division du cinéma, menaçant ainsi son offre en matière de films, et au-delà, sa survie même. Un phénomène observé en Grande-Bretagne, en Espagne ou encore en Italie, ou faute d’aides à l’équipement, la fréquentation des petites salles s’est effondrée.
Financement et « sacro-saint » droit de la concurrence
Face à cette situation délicate, une loi a été adoptée en septembre 2010 visant à assurer le financement du passage au numérique via deux moyens :
- l’obligation faite aux distributeurs de participer aux frais de la modernisation des salles (réinvestissement des économies réalisées grâce à la copie numérique, soit environ 600 € par copie),
- une aide accordée aux salles ne trouvant pas d’autres moyens de financement, notamment via le modèle du VPF (Virtual Print Fee) ou « Frais de copie virtuelle. »
En effet, dès 2007, une solution de financement importée des États-Unis et connue sous l’acronyme VPF a été adoptée par certains exploitants de salles. Pour faire simple, des « tiers investisseurs » ont investi le marché en proposant le principe contractuel suivant entre distributeur et exploitant : pour chaque copie numérique distribuée chez un exploitant client d’un tiers investisseur, le distributeur lui reverse une somme équivalente à l’économie moyenne faite par rapport à la production d’une copie 35mm (le tiers investisseur ayant bien sûr au passage pris sa marge sur la dite somme), et ce pour le financement du passage au numérique.
Le danger résidait en ce que certains tiers investisseurs s’intéressent seulement aux salles les plus rentables pour eux. Tout simplement, plus la salle diffuse de films différents en exclusivité tout au long de l’année (appelé taux de rotation), plus les gains résultant des VPF augmentent pour ces tiers investisseurs. Deux conséquences à cette logique financière :
- certaines salles pour financer via un tiers investisseurs les équipements de projection numérique se détournent d’une programmation « Art et essai » vers des films au format numérique susceptibles d’attirer plus de public, augmentant ainsi le taux de rotation.
- faute d’être suffisamment rentables pour certains tiers investisseurs, d’autres salles se retrouvent purement et simplement sans aucune solution de financement.
Cette dernière conséquence concernant au moins 1 500 écrans, le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) avait un temps imaginé se positionner comme tiers-investisseurs « désintéressé » pour créer un compte de mutualisation permettant à chaque exploitation de recevoir un même taux de participation équivalent à 75 % du budget d’équipement.
Malheureusement, cette proposition pourtant équitable fut tuée dans l’œuf par l’Autorité de la Concurrence qui rendit un avis négatif quant à la création de ce compte craignant des « effets de distorsion.»
Financement par le CNC et les collectivités
C’est donc par la loi de septembre 2010, que la CNC a, sur ses fonds propres, mobilisé une enveloppe de 125 millions d’euros pour aider les salles toujours privées de financement.
L’aide maximum est de 200 000 €, et c’est en complément de celle-ci que le Conseil régional intervient, à hauteur de 15% maximum du prix de l’équipement.
D’autres collectivités (comme le Conseil général de Loire-Atlantique en ce qui concerne Saint-Étienne-de-Montluc, ainsi que la commune) interviennent également à nos côtés pour préserver ce « maillage culturel » du territoire et la liberté de programmation de ces salles.
Une région ouverte à toutes les cultures, ça n’est pas qu’un slogan !