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Commencer à reconstruire

Écrit le 24 janvier 2018 par Éric Thouzeau

Je reproduis ici la trame du rapport introductif que j’ai fait lors de la réunion nationale « Reconstruire la gauche » qui s’est tenue à Paris le 20 janvier. On peut retrouver l’intégralité de mon intervention en vidéo.

La réunion nationale « reconstruire la gauche » trouve son origine dans un appel du même nom lancé il y a quelques mois principalement par des militants du réseau GDS (constitué autour de la revue Démocratie&Socialisme). Il s’agissait de travailler avec tous les « socialistes unitaires » pour voir comment préparer le congrès du PS. Parmi les 1100 signataires, nous nous sommes vite aperçus que beaucoup n’étaient déjà plus membres de ce parti. Au fil des semaines, il est apparu que le congrès ne serait pas « un congrès de réorientation », ni « un congrès ouvert à toutes celles » et à tous ceux qui veulent tirer les bilans pour reconstruire », terme utilisés dans l’appel. La totalité de la soi-disant direction collégiale provisoire s’est mise d’accord pour ne pas tirer de bilan du quinquennat. Pire, elle entend modifier les statuts du Parti socialiste avant le congrès pour réduire les débats possibles.

Cette réunion du 20 janvier vise à débattre non de questions tactiques mais de privilégier les échanges sur les questions de fond (programmatiques et stratégiques) pour la gauche de notre pays

La situation générale

Il n’est pas inutile de revenir sur ce qu’est le macronisme. Tout le monde ici sera certainement d’accord pour dire que Macron, appuyé par technostructure de la haute administration,  est là pour imposer les règles néo-libérales en France, pour adapter le pays au néo-libéralisme européen et mondial. Pour autant, il faut faire œuvre de pédagogie, car certains sont trompés par les discours de Macron. Il y a un écart considérable entre certains de ces discours et ses actes. Macron peut se prononcer pour faire un meilleur accueil aux réfugiés et « en même temps » produire avec son ministre de l’intérieur une circulaire pour faire la chasse aux migrants dans les centres d’hébergements d’urgence. Il peut expliquer qu’il redonne du pouvoir d’achat, qu’il entend mieux protéger du chômage alors que la protection sociale est attaquée, le Smic mis en cause…

Pour une partie de la classe dominante, les gouvernements successifs (de droite ou de gauche) ont échoué à imposer aux pays toutes les « réformes » dont elle rêve. D’où l’idée d’une coalition « centre-droit-centre gauche », ce qui explique le langage de Macron « et de droite et de gauche »…tout cela pour mener une authentique politique de droite. Pour reprendre l’expression d’un politologue, Emmanuel Macron incarne la réunification de la bourgeoisie. En effet, nous assistons bien à une recomposition du bloc bourgeois autour de Macron.

La politique gouvernementale consiste en  un transfert massif de la richesse (« les 5 % de ménages les plus aisés capteraient 42 % des gains » liés aux contre-réformes) et une casse des droits sociaux (licenciements facilités, refonte des mécanismes de l’assurance-maladie et remise en cause de la retraite par répartition…). Cette politique néo-libérale s’accompagne d’une dérive autoritaire (loi anti-terroriste, circulaire anti-migrants, annonce d’une loi sur les médias…).

Nous aurons aussi à débattre de sa volonté de réformer la Constitution, avec un dessein : diminuer le rôle des partis politiques. Quant à l’Europe ? Macron veut une fédéralisation accrue de l’Europe. Que l’on soit ou non pour une Europe fédérale, nous serons d’accord pour dire que toute intégration supplémentaire sans projet social, ne peut qu’accroître les inégalités sociales au sein de l’Union.

Nous pouvons bien sûr avoir le débat sur le contenu de la croissance économique, qui rappelons-le, n’est pas que l’accroissement de biens matériels mais aussi des services. Ce qui est certain, c’est que la concentration des richesses et l’accroissement des inégalités en Europe et dans le monde entier expliquent pour beaucoup la croissance molle actuelle. Qu’il y ait une légère reprise à l’heure actuelle n’est pas étonnant après une décennie de quasi-stagnation. Mais si l’on en croit par exemple, le quotidien Les Échos du 20 décembre 2017, « les créations d’emplois devraient passer d’un rythme de 150 000 par semestre à 70 000 environ dans la première moitié de l’année 2018 », ajoutant que « le taux de chômage ne devrait donc que peu reculer ».

Pour finir ce tour d’horizon, il faut bien constater que nous sommes dans un « creux » dans la situation politique après l’échec des mobilisations anti-ordonnances. Le mouvement social a combattu la loi ElKhomri, puis les ordonnances de Macron-Pénicaud sans réussir à les empêcher. Qui plus est aujourd’hui en l’absence de tout débouché politique, ce « ressac » est logique.

Une gauche éclatée et morcelée

Nous savons bien que le terme de gauche a été dévalorisé par le quinquennat de François Hollande. Nous ne pensons pas qu’il faut l’abandonner, d’autant que sa politique sociale et économique a été plutôt une politique de droite, en rupture même avec la programme du PS de 2011. Pour nous, la droite est l’expression des intérêts de la classe dominante. La gauche, elle, même parfois de façon déformée, entend représenter la classe salariale, celle qui est dominée, celle qui produit les richesses mais qui n’en reçoit pas tout la part qu’elle mérite.

S’il y a bien une gauche et une droite, il y a aussi des gauches. Et c’est normal ! Le salariat n’est évidemment pas homogène et la gauche a donc toujours été diverse, plurielle.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais à gauche on vit aujourd’hui une situation qui s’apparente un peu à celle de l’après 1958 (Guy Mollet va chercher De Gaulle, la SFIO soutient la guerre d’Algérie va agoniser, et s’ouvre alors une période d’éclatement, de décomposition-recomposition). Aujourd’hui, le PS n’est plus hégémonique à gauche, il a effectué une mue sociale-libérale au cours du quinquennat de F.Hollande, et se refuse à tout retour critique de cette période. C’est un parti à la dérive. A-t-il changé de nature ? Serait-il devenu un parti de droite ? Peut-il survivre, voire revivre s’il n’est pas remplacé ? Toutes ces questions méritent d’être posées.

Le PCF, qui prépare son congrès pour novembre, est taraudé par des débats contradictoires entre recomposition, démarches unitaires et identitaires.

EELV a engagé une démarche ouverte pour des assises de l’écologie et des solidarités (un parti basé sur l’écologie politique est-il encore utile alors que la prise de conscience écologique a progressé dans la société, et que toute les formations politiques intègrent peu ou prou un langage écologiste ?

France insoumise est devenue la principale force  électorale à gauche (même si ses dirigeants récusent le terme de gauche). Le problème est que ce mouvement se refuse à endosser les responsabilités qui découlent de cette nouvelle situation pour prendre des initiatives réellement unitaires.

Génération.s parie sur les européennes pour percer. Dans une interview à Médiapart, Benoît Hamon indique que le mouvement Génération.s n’a pas vocation à être tout seul autour de la table pour créer une maison commune. Pouvons-nous nous attendre à une démarche d’ouverture en direction de toutes les forces qui veulent participer à cette reconstruction/refondation de la gauche ?

Autre formation, Ensemble, qui se veut un parti-mouvement, est taraudé par la question de son maintien ou de son intégration à France Insoumise, même si une majorité a décidé la continuation d’Ensemble.

Reconstruire la gauche

Oui  nous affirmons qu’il faut reconstruire la gauche. La reconstruire d’un point de vue stratégique, cela nécessite de confronter nos points de vue,  de mettre sur pied des lieux d’échange et de débat, (comités de liaison) pour avancer vers une coalition permanente de la gauche.

Reconstruire la gauche, d’un point de vue de vue programmatique nécessite d’aborder toutes les  questions qui nécessitent une intervention politique :

  • La question sociale car c’est celle qui touche dans leur vie quotidienne les salariés en activité ou à la retraite, ceux qui sont privés d’emploi et les jeunes: logement, salaires, retraite, accès à l’énergie, assurance chômage …La question sociale doit être abordée avec la compréhension d’une lutte menée par la classe dominante contre le salariat.
  • La question écologiste car elle embrasse la question de l’avenir de l’humanité. Elle ne se résume pas à la question sociale, mais il est impossible de la poser en dehors de cette question : comment parler de transition énergétique sans traiter en premier lieu la précarité énergétique (le sort de toutes celles et de tous ceux qui vivent dans des logements « passoires énergétiques » et ne peuvent pas payer leur chauffage). Organiser la sortie du nucléaire ou du charbon sans résoudre la nécessaire et préalable reconversion de salariés concernés ?
  • La question démocratique sous toutes ses formes et à tous les niveaux : la Vème République mais aussi la place des associations, des citoyens …
  • La question de l’Europe comme lieu de lutte contre le néo-libéralisme et comme espace à construire au plan politique, social et environnemental
  • Les questions internationales, de la guerre et de la paix (la France mène des guerres dans de nombreux pays, même si elle les camoufle sous le vocable d’opérations extérieures), des migrations économiques et climatiques (au-delà de la solidarité vis-à-vis des migrants, y a-t-il de véritables propositions pour une politique migratoire de gauche ?)

Reconstruire la gauche, c’est reconstruire une gauche qui réponde aux questions de notre temps : sociale, écologiste, féministe, laïque, internationaliste, et donc une gauche unitaire, démocratique et pluraliste.

L’intégralité de l’intervention est à retrouver en vidéo.


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