J’ai écrit un article pour la rubrique écologie de la revue Démocratie&Socialisme, le mensuel de la Gauche démocratique et sociale (GDS). Je le reproduis ci-dessous.
En plein mouvement des gilets jaunes, la ministre des transports, Elisabeth Borne, a dévoilé les contours de sa future loi d’orientation sur les mobilités (LOM). Au-delà du discours, « priorité à la réduction des fractures sociales et territoriales » et « priorité aux transports du quotidien », ce projet de loi n’a rien à voir avec un vrai plan de désenclavement de la « France périphérique ».
En 1982, la majorité de gauche avait voté une loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) ambitieuse. Aujourd’hui, néo-libéralisme oblige, toute volonté politique a disparu dans ce domaine, amenant à un projet « mélange confus de mesures »1 : il y est aussi bien question de l’arrivée des véhicules autonomes, des trottinettes en libre-service… que de l’ouverture à la concurrence dans les bus parisiens ! Il est vrai – et c’est une première en France – que l’exposé des motifs de cette loi a été confié à un cabinet international d’avocats. Pur scandale, car l’exposé des motifs d’une loi n’est rien d’autre que l’argumentaire politique de ladite loi.
Recul devant le lobby patronal
L’idée d’une vignette poids-lourds est abandonnée pour ne pas froisser le patronat routier. Un comble au moment où Macron refusait encore de reculer face aux gilets jaunes et maintenait la hausse sur les taxes des carburants au 1er janvier 2019. L’idée de péages à l’entrée des grandes villes a aussi été abandonnée – et c’est tant mieux –, de peur « d’accentuer les fractures entre les territoires ».
L’urgence climatique est évidemment affichée dans les intentions gouvernementales, le secteur des transports étant responsable de 30 % des émissions de CO2. Alors pourquoi ne pas avoir repris un objectif formulé notamment par Nicolas Hulot, à savoir « la fin des voitures diesel et essence d’ici 2040 »2 ? Sans cap clair, il est à parier que les constructeurs automobiles se feront prier pendant de longues années avant d’enclencher réellement la transition vers des véhicules plus propres.
Zones blanches qui risquent de le rester
Si 70 % des actifs utilisent leur voiture quotidiennement pour se rendre au travail, 49 % d’entre eux le font faute de toute alternative. Le Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), qui est un établissement public, chiffre à 28 % (soit 19 millions d’habitants) la population qui vit dans une « zone blanche de mobilité »3. Cet espace, qui n’est pas couvert par une des 330 autorités organisatrices de transport (État ou collectivité territoriale) en charge de l’offre de transport public (inter-urbain, scolaire, TER), représente 75 % du territoire. C’est énorme, d’autant plus quand on sait qu’une personne sur quatre a déjà refusé un emploi faute de moyen de transport pour s’y rendre. Ces territoires cumulent par ailleurs souvent éloignement des services publics et absence de connexion internet…
Le projet de loi aborde cette question et demande aux collectivités locales (et à défaut les régions) de s’en charger, mais sans financement supplémentaire de l’État pour des petites collectivités aux maigres ressources. On parle alors – et c’est sans doute nécessaire, mais bien loin d’être suffisant – de covoiturage, d’auto-stop sécurisé, d’autopartage, de transport à la demande….Et il n’est jamais question de réouverture de lignes SNCF, ni de développement du ferroviaire, alors que l’on sait que près de 9 000 kilomètres de lignes sont menacées actuellement par la réforme de la SNCF.
Projet de loi sans budget conséquent
Et là où le bât blesse, c’est bien sûr sur le plan budgétaire. Les efforts faits sur la régénération du réseau classique (c’est-à-dire hors lignes nouvelles à grande vitesse) étaient devenus absolument indispensables, tant des économies avaient été faites depuis près de trente ans, y compris sur les principaux axes. Malheureusement, cela ne garantit en rien la pérennité des plus petites lignes. La Cour des comptes, elle-même, vient de demander à l’Etat d’augmenter sa participation financière aux investissements sur le réseau ferroviaire.
Même pour le plan vélo, le budget annoncé semble bien insuffisant (350 millions sur sept ans), là où les ONG réclamaient 200 millions par an. « Cinquante millions d’euros par an, cela représente 70 centimes par habitant et par an, bien loin des 4 euros par habitant et par an que les gouvernements danois et néerlandais consacrent à la bicyclette », à en croire les associations du Réseau action climat (RAC)4.
- Le Monde du 29 novembre
- Reporterre du 27 novembre
- ’Humanité Dimanche du 22 novembre
- Reporterre du 15 septembre