Le conseil régional de Pays de la Loire a entamé un débat sur l’avenir énergétique de la région. Lors de la première réunion qui s’est tenue le 14 novembre 2011, je suis intervenu au nom du groupe socialiste. À partir de cette intervention, j’ai écrit cet article pour la revue « Démocratie & Socialisme » de décembre 2011.
Tout comme l’air ou l’eau, l’énergie c’est la vie. L’énergie est un vrai enjeu de société. Il est plus que temps de mener ce débat sur le fond, sans le limiter à la question (importante) de la sortie du nucléaire !
Un nouveau sommet des Nations-Unies sur le climat s’est tenu à Durban, en Afrique du Sud. Le constat qui y a été tiré c’est que les émissions des gaz à effet de serre n’ont pas réellement baissé ces dernières années. L’objectif fixé après les travaux du GIEC d’un réchauffement planétaire de moins de 2°C sera sans doute impossible à tenir. Or la part du secteur énergétique dans les émissions de gaz à effet de serre est importante.
Le nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre. Certes. Mais, outre les questions de sécurité et de déchets pour le nucléaire, souvenons-nous que le charbon, le gaz naturel, le pétrole mais aussi l’uranium ont des réserves limitées. Il y a donc urgence à entamer une transition énergétique. Il ne serait pas raisonnable de compter sur la découverte de nouveaux gisements, avec des matières premières toujours plus difficiles à extraire (donc plus coûteuses) et avec des conditions d’extraction socialement et écologiquement de plus en plus inacceptables (cf. les gaz de schiste).
Pour nous socialistes, il n’est plus de projet émancipateur qui vaille sans prise en compte des contraintes et des limites naturelles1.
La nécessité d’un débat public démocratique
Il est plus que temps de tenir un véritable débat sur la stratégie énergétique de la France abordant toutes les questions sans tabou. En cas de victoire de la gauche en 2012, ce débat devra être généralisé, dans la perspective d’un vote d’une loi d’orientation de la politique énergétique avant l’été 2013.
La question énergétique ne peut pas être laissée aux seuls experts. Car il ne s’agit pas seulement de questions purement scientifiques ou techniques. Mais il y a besoin de ce « savoir indispensable à la décision » pour reprendre les termes du philosophe Ernst Bloch, un « savoir qui s’attache au processus du monde », un savoir « qui prenne le parti actif du Bien […], c’est-à-dire de ce qui est digne de l’Homme dans ce processus ».
Les citoyens savent, avec raison, que ce n’est pas la somme des comportements individuels qui suffira à inverser la tendance à la détérioration de la planète. Responsabilisés, mais pas culpabilisés. Ils attendent une vision commune, un projet de civilisation crédible et lucide. Le débat démocratique est pour cela indispensable pour arriver à un projet partagé par le plus grand nombre.
La transition environnementale est d’abord énergétique
La transition environnementale est d’abord énergétique. Il s’agit d’organiser la transition vers une économie sans carbone fossile. Se passer de combustibles fossiles constitue LE grand défi du XXIe siècle, le défi de la lutte contre les changements climatiques. Il s’agit d’organiser une transition énergétique permettant de sortir de la double dépendance au nucléaire et au pétrole.
Et il y a à la fois urgence énergétique et urgence sociale. Le gaspillage énergétique pénalise les plus fragiles. Les ménages les plus pauvres dépensent 15 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques soit 2,5 fois plus que les ménages riches. 3,4 millions de familles consacrent plus de 10 % de leur budget à leurs dépenses de chauffage. Toutes les collectivités locales ont à traiter la question de la précarité énergétique dans laquelle sont un nombre croissant de personnes.
La question de la sortie du nucléaire
Sarkozy a décidé de faire du nucléaire un axe de campagne. Une fois de plus la droite sonne la charge pour étouffer tout débat sur le sujet. Parfois certains arguments avancés feraient sourire si le débat n’était pas des plus sérieux. Le PDG d’EDF, M. Proglio grand ami de M. Sarkozy, ose affirmer que « sortir du nucléaire signifierait mettre en péril un million d’emplois et nécessiterait 400 milliards d’euros pour remplacer les centrales ». Dire n’importe quoi et faire peur, ce sont de vieilles méthodes. Mais après la catastrophe de Fukushima, il est incroyable que la droite essaie encore empêcher ce débat légitime sur la sortie du nucléaire. Bien sûr il faut débattre du coût de cette sortie du nucléaire, mais aussi du coût du maintien du nucléaire. « Sortir du nucléaire coûte cher, y rester aussi » titrait à juste titre le journal Le Monde du 25 novembre dernier. On peut espérer que le rapport de la Cour des comptes qui devrait être publié début 2012 et qui sera un audit de la filière électronucléaire et des ses coûts réels, permettra d’avancer dans ce débat.
Les centrales vieillissent, prolonger ces centrales coûtera cher. Les 58 réacteurs français devront être révisés dans les dix années à venir pour un coût de 600 millions d’euros par réacteur, sans compter les demandes de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) destinées à renforcer la sécurité des centrales après Fukushima, où l’improbable s’est pourtant produit.
Il faut aussi penser au stockage des déchets radioactifs. En 2006, la Commission nationale d’évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs chiffrait à 15 milliards les frais d’enfouissement des déchets les plus dangereux.
Quant au démantèlement des centrales vieillissantes, il aura de toute façon un coût important. Le démantèlement de la centrale de Brénnilis, à l’arrêt depuis 1985, la Cour des comptes l’a estimé à 482 millions d’euros (contre les 20 millions d’euros avancés en 1979).
La question de l’emploi est réelle. Une sortie du nucléaire, si elle était décidée à l’issue d’un large débat politique, ne pourrait être que progressive. Le savoir-faire des salariés de la filière nucléaire sera indispensable dans cette phase de transition, comme il sera utile pour le démantèlement des centrales et le retraitement des déchets.
Envisager dès à présent, comme le souhaite François Hollande, de baisser de 75 % à 50 % en 2025 la part du nucléaire dans l’électricité produite en France est donc un premier pas pertinent. Il sera une première rupture avec la politique énergétique des ces 40 dernières années. Cela nécessite une discussion sérieuse entre partenaires de la gauche. Nous, socialistes, étions fermement contre l’EPR. Malheureusement nous n’avons pas été entendus à l’époque. Le chantier a pris du retard, les coûts se sont envolés. Il faudra tout d’abord être certain que toutes les conditions de sécurité seront réunies. Et s’il s’avère plus coûteux de ne pas le mettre en service que de le mettre en marche, alors cela doit être l’occasion d’une fermeture plus rapide d’un plus grand nombre de centrales vieillissantes. L’accord PS-EELV acte la fermeture de progressive de 24 réacteurs, sur les 58 en service, à l’échéance 2025.
Énergies renouvelables, sobriété énergétique
La transition énergétique et la sortie du nucléaire sont des enjeux majeurs pour l’avenir de notre pays. Pour que ces deux enjeux soient possibles, il faut investir plus que jamais dans les énergies renouvelables (EnR). Elles sont fournies par le vent, la chaleur de la Terre, les chutes d’eau, les marées ou la croissance des végétaux2. L’emploi a également tout à gagner du développement des EnR.
Le savoir-faire des salariés de la navale et de l’aéronautique par exemple est indispensable dans le développement de l’éolien par exemple.
La population continuant à augmenter, c’est donc en termes de besoins énergétiques que va se poser le débat. La question de la sobriété énergétique est absolument incontournable. La politique pour favoriser l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments publics et privés doit être amplifiée. Cela nécessite formation, hausse de la qualification des salariés du bâtiment… et donc de meilleurs salaires !
L’objectif des 3 fois 20 de l’Union européenne (20 % d’économie d’énergie, 20 % de réduction des émissions des gaz à effet de serre, 20 % d’énergies renouvelables) est trop peu ambitieux (de nombreuses collectivités ont adopté l’objectif des 3 fois 30). La crise financière, la probable récession dans laquelle la zone euro va rentrer du fait des différents plans d’austérité mis en œuvre dans tous les pays européens, tout cela ne doit pas nous faire négliger cette question majeure qu’est la question énergétique
Pour un changement de modèle de développement
Pour nous socialistes, la crise écologique n’est pas une crise du rapport entre l’humanité et la nature, mais une crise entre un mode de production et son environnement. Les solutions à la crise écologique sont les mêmes que les solutions à la crise économique : l’économie comme moyen, le développement social et individuel come finalité et le respect des équilibres écologiques comme condition. L’enjeu écologique contribue à réactualiser plusieurs valeurs identitaires du socialisme : la démocratie, les instruments de l’intervention publique, le rôle d’un État stratège. Pour cela, il s’agit de rompre avec la logique actuelle de maximisation du profit et de la remplacer par une logique de maximisation du bien-être en tenant compte de la contrainte environnementale
Concrètement, nous sommes convaincus de l’urgence d’un changement de modèle de développement, plus sobre, plus efficace et plus juste, qui implique une révolution dans les modes de production mais également dans les comportements des consommateurs. Pour que cette révolution puisse se concrétiser, elle doit avoir un impératif : la justice sociale. Les salariés ne doivent pas payer les comportements irresponsables de certains grands groupes industriels.
Nous réaffirmons notre attachement aux principes d’un développement économique qui soit durable, créateur d’emplois, de richesses et de progrès sociaux. Les collectivités où les socialistes sont en responsabilité ont mis le développement durable au cœur de leur projet politique. Il devra en être de même au plan de l’État. Car ses valeurs sont celles du socialisme : partage des richesses et des ressources, développement humain et progrès social, approfondissement de la démocratie.
Éric Thouzeau
- Sur le sujet, lire :
- « La social-écologie en débat », Paris, La Revue socialiste, n°40, 4e trimestre 2010
- Tanuro, Daniel, L’impossible capitalisme vert, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2010, 300 pages.
- Lowy, Michaël, Écosocialisme. L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Paris, Les petits libres / Mille et une Nuits, 2011, 240 pages.
- À l’exception de la géothermie et des marées, toutes les énergies renouvelables sont de fait solaires. La source solaire requiert l’emploi de convertisseurs spécifique (éoliennes, hydroliennes, panneau thermiques, panneaux photovoltaïques, convertisseurs de biomasse de différents types, systèmes de miroirs paraboliques…).
[…] progressive des énergies renouvelables au pétrole et au nucléaire. Voir mon article : « Il ya une urgence énergétique » Imprimer Envoyer à un […]