Repenser les territoires sans le temps du débat ?

Les territoires de l’Ouest (atlas des campagnes de l’Ouest, Presses universitaires de Rennes)

L’historien Alain Croix vient de me signaler la sortie d’un « Atlas des campagnes de l’Ouest » (*). Cette parution « en plein débat sur la réforme territoriale…saura alimenter d’éclairages pertinents les échanges en cours » si l’on en croit la présentation ce cet ouvrage que l’on peut trouver sur le site de l’université de Nantes. Cet atlas réunit près de 70 auteurs, géographes et sociologues, des universités de tout l’Ouest, dont une large part des membres de l’équipe de recherche ESO « Espaces et Sociétés »  du CNRS.

Écrite dans un « style simple et accessible à tous »  chacune des planches de cet atlas illustre de façon concise et pédagogique, une des facettes des espaces ruraux contemporains des départements de l’Ouest. Oui, l’Ouest bouge ! Et les bouleversements sont immenses ! Cet atlas décrit le résultat de ces fabuleuses mutations sociales et territoriales, en cinq parties aux titres évocateurs : « De l’enracinement aux nouveaux ancrages », « De la paroisse à la communauté de communes », « Du village au lotissement », « Du modèle agricole intensif à l’AMAP », « Des campagnes laborieuses aux nouveaux paradis verts ».

Quelle organisation de l’Ouest ?

Mais de quel Ouest nous parle cet atlas ? D’un Grand Ouest englobant les régions administratives de la Basse-Normandie, de la Bretagne, des Pays de la Loire et du Poitou-Charentes. Dans un des articles de cet atlas, le professeur Robert Hérin écrit : « de Nantes à Rennes, d’Angers à Vannes s’affirme un ensemble métropolisé autour duquel pourrait graviter un Grand Ouest allant de la Normandie au Poitou-Charente. Les récentes évolutions n’effacent pas les spécificités départementales, celles du Finistère, de la Vendée, par exemple ». Alain Croix, pense quant à lui, qu’ une évidence se dégage de la lecture de cet atlas : « celle d’un ensemble cohérent Bretagne-Pays de la Loire ! Population, place de l’enseignement catholique, bistrots, « hiérarchie urbaine fonctionnelle », armature urbaine, services disponibles dans les communes, préscolarisation, EHPAD, répartition des médecins, utilisation du sol, dimension économique des exploitations, place de l’agriculture bio, constructions agricoles, évolution de l’emploi en général, dans l’agro-alimentaire ou dans la filière viande, et j’en passe : nos géographes, en toute innocence, ont dégagé une cohérence régionale dans l’Ouest, à l’échelle de deux des actuelles régions ». Dans « la rose et le granit » (2) Thierry Guidet parle d’un Ouest qui est « la réunion des Pays de la Loire et de la Bretagne, de Brest au Mans, de  Saint-Malo à Fontenay-le-Comte ». Il met en avant des analogies de comportement politique, des coopérations économiques et universitaires, « l’existence d’un réseau de villes qui réunit Nantes/Saint-Nazaire, Rennes, Angers et Brest »,   mais aussi « un socle anthropologique commun aux deux régions tel qu’il a été décrit en 2010 par l’Observatoire du dialogue et de l’intelligence sociale. »

Une action publique de proximité

Gageons que le débat prévu dans l’enceinte du Conseil régional des Pays de la Loire jeudi 5 juin apportera aussi d’autres éléments puisqu’ aux côtés de géographes, des économistes et des sociologues y interviendront. Mais François Hollande et Manuel Valls veulent aller vite. Alors, il nous faut, nous aussi, intervenir au plus vite pour que les choix qui seront faits en matière de découpage régional soient les moins mauvais possibles. Au risque d’occulter des débats essentiels : quelles dotations de l’Etat aux collectivités territoriales ? Quel partage de compétences entre l’Etat et les différentes collectivités ? Des « super-régions » (en taille) avec une quasi-suppression des départements, est-ce bien raisonnable ? De très nombreuses communes rurales ont mis le FN en tête du vote des Européennes, confirmant les enseignements de tous les scrutins de ces dernières années : de nombreux citoyens se sentent abandonnés et  laisssés-pour-compte, la présence des services publics se raréfiant sur ces territoires loin des grandes villes. Ne compter que sur les intercommunalités pour assurer la proximité me semble bien hasardeux.

Imposer le temps d’un débat

La carte des nouvelles régions serait dévoilée dès cette semaine. Comment dans ces conditions avoir le temps d’un vrai débat au niveau des élus, des partis, des syndicats, des associations, des universitaires sans parler évidemment de pouvoir y associer les citoyens ce qui serait tout de même la moindre des choses quant il s’agit d’un sujet aussi important que l’organisation de l’action publique sur le territoire de la République ? Pour mener à terme une réforme d’ampleur sur l’organisation territoriale, il faut un exécutif fort. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Tout cela risque de finir très mal. Nous en saurons un peu plus dans les jours qui viennent, mais je pense que les découpages proposés (quels qu’ils soient) vont provoquer de vives réactions dans tout le pays. Hollande joue son va-tout au risque d’une fuite en avant. Hollande et Valls parient sur le fait que cette réforme ne déclenchera pas de mouvements de masse puisque cette réforme territoriale est présentée comme faisant faire des économies notamment en diminuant le nombre des élus et des structures (des économies qui restent à prouver, alors que la baisse des dotations de l’Etat, elles, sont déjà bien réelles). Mais, n’est-ce pas une erreur de penser que les citoyens n’auront pas envie de dire leur mot sur ce sujet ? Dans le contexte politique actuel fortement dégradé, quelle est la mesure qui sera celle de trop ? Certes les institutions (anti-démocratiques) de la 5^ème République « protègent » le Président. Jusqu’en 2017 ?

Pour un sursaut à gauche

C’est à un sursaut des socialistes et de toute la gauche qu’il faut désormais travailler en refusant toute nouvelle accentuation d’une politique qui cède aux désirs du Medef, comme la proposition de François Rebsamen de satisfaire une vieille revendication patronale concernant le gel des seuils sociaux. C’est sur la question sociale (emploi, salaires) que des changements sont attendus.  Revenir au souffle du discours du Bourget, rassembler à nouveau toute la gauche sur un contrat majoritaire, il n’ y a pas d’autre voie pour éviter la crise qui vient, une crise qui serait cette fois-ci politique et plus seulement économique et sociale. 

(*) « Atlas des campagnes de l’Ouest » sous la coordination scientifique de Christine Margetic, Michael Bermond, Valérie Jousseaume et Maxime Marie. Presses Universitaires de Rennes

(**) « La rose et le granit » Thierry Guidet Editions l’aube