Les élections présidentielles et législatives de 2017 devraient être l’occasion pour la gauche de mettre au coeur de la campagne les question sociales et écologiques, qui sont les vraies questions auxquelles notre société est confrontée. Surtout ne pas suivre la droite et l’extrême droite, comme le font certains, sur le terrain de l’islam et de l’identité. Dans ce petit article, j’essaie de montrer le piège du débat sur l’identité, car cette notion ne peut pas permettre de construire un projet politique émancipateur car basé sur une vision trop souvent réductrice de notre passé. Je me suis largement inspiré du chapitre « Détruire le mythe des origines » du livre « Crépuscule de l’histoire »(1) de Shlomo Sand, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv (auteur notamment de « Comment le peuple juif fut inventé » et « Comment j’ai cessé d’être juif »).
Le discours de rentrée de François Fillon a marqué les esprits par l’attaque contre Sarkozy avec notamment cette phrase : « qui imagine De Gaulle mis en examen ? » . Pour ma part, j’ai aussi remarqué que Fillon propose de « revoir l’enseignement de l’Histoire pour privilégier le récit national ». C’est toujours extrêmement inquiétant quand un homme politique entend dicter ce que l’on doit ou ne doit pas enseigner et tout particulièrement dans le domaine de l’histoire. La droite veut focaliser le débat des présidentielles sur le thème de l’identité nationale, la déclaration de Fillon s’inscrit dans cette orientation.
Un de ses principaux soutiens, le sénateur-président du Conseil régional des Pays de la Loire a, quant à lui, publié une tribune dans le journal de droite extrême Valeurs actuelles. Il y reprend les propos qu’il nous a tenus lors de la dernière session régionale lors du débat le lendemain du vote britannique en faveur de Brexit. Ses déclarations sont toujours présentées comme frappées de bon sens. Elles sont, selon moi, surtout marquées d’une idéologie profondément conservatrice et réactionnaire. Le propos concerne ici sa conception de l’Europe, avec toujours cette obsession de l’identité et de ce que l’historien universitaire Shlomo Sand appelle « le mythe des origines ».
Que pouvons-nous lire dans cette tribune de Bruno Retailleau ? « L’Europe est l’héritière de l’antiquité gréco-romaine, d’une chrétienté pluri-séculaire, et de l’humanisme de la Renaissance et des Lumières, autant d’influences qui ont façonné des peuples porteurs d’une conception singulière de l’homme. Ce socle commun doit être assumé ». Vous avez remarqué que l’habile homme n’oublie tout de même pas l’héritage des Lumières. Mais l’essentiel est ailleurs.
Prenons l’exemple de l’Antiquité. Athènes est-elle l’ancêtre, le commencement de l’Europe ? Et y a-t-il eu continuité depuis l’antiquité grecque ? Rien n’est moins sûr. Il faut, par exemple, reconnaître le rôle important joué par les populations méditerranéennes et donc ce que l’on peut appeler une civilisation méditerranéenne (1) dans la médiation « entre l’Antiquité de l’Asie occidentale et l’avènement postérieur du Nord-Ouest européen » (2).
C’est en fait à la Renaissance que l’on a réinventé (« rétro-inventé » selon les termes de Shlomo Sand) l’Antiquité de l’Europe. Pendant environ mille ans, du Vème au XVème siècle, l’Europe a tout ignoré de sa soi-disant ascendance gréco-romaine. Et ce n’est pas dans les monastères que les érudits de l’époque ont pour l’essentiel retrouvé des documents « antiques ». Ils les ont retrouvés dans l’empire Byzantin au Sud-Est de la Méditerranée et pour beaucoup, après que Tolède tombe aux mains des chrétiens, dans des textes grecs traduits en arabe dans la péninsule ibérique. Les principaux porteurs de la science et de la culture méditerranéenne étaient les musulmans principalement ceux d’ « Espagne » : « le philosophe et médecin arabe Averroès (1126-1198) avait une connaissance d’Aristote bien supérieure à celle de tous les chrétiens européens de sa génération » (2).
Et puisque l’on parle de la Grèce antique qui serait, pour les obsédés des origines de notre identité, le berceau de l’Europe, n’oublions pas l’origine phénicienne de l’alphabet grec (dans l’actuel Liban). On pourrait aussi parler de l’introduction en Europe médiévale des chiffres arabes (venus de Syrie), eux-mêmes inspirés d’une numérotation indienne du 3ème siècle avant JC.
Ce ne sont que quelques exemples qui montrent qu’il y a souvent beaucoup de raccourcis quand certains s’appliquent à définir l’identité d’un peuple, d’une nation ou d’un continent. Il s’agit le plus souvent de constructions politiques beaucoup plus que d’approches historiques qui sont nécessairement complexes.
Il n’y a pour moi qu’une seule façon d’éviter politiquement tous les pièges que nous tendent aujourd’hui tous les néo-conservateurs, parmi lesquels le sénateur-président de notre Conseil régional. Si Aimé Césaire a raison de dire qu’ « un peuple sans mémoire n’a pas d’avenir », la connaissance de notre passé doit faire l’objet d’une recherche permanente loin de l’histoire fantasmée. Mais cette connaissance ne peut pas être le socle d’un projet politique. Notre Région, notre pays, l’Europe doivent être avant tout des projets avec une volonté de construire ensemble un avenir commun plutôt que sur des identités basées sur le passé et nécessairement hasardeuses.
(1) De deux mille ans avant JC jusqu’au 4 ème siècle.
(2) Shlomo Sand Crépuscule de l’histoire (éditions Flammarion)