Début juillet, j’ai participé à un débat organisé par des amis sur le thème : « Planète en danger : la croissance est-elle raisonnable ? ». Cela m’a amené à me pencher un peu sur ce concept de décroissance qui, je l’avoue bien volontiers, ne m’est pas très familier. Alors que le contient européen s’enfonce dans la récession, que le chômage explose, et que la politique libérale prônée par la Commission européenne et les conservateurs allemands empêche la relance de l’économie, je suis encore plus convaincu après ce débat que la réponse par la décroissance est une impasse. Pour autant, il n’est pas inintéressant de chercher à répondre à de vraies interrogations que pose la croissance « capitaliste ».
Quand on parle de croissance, on parle de croissance du PIB. Le Produit intérieur brut mesure les valeurs de l’ensemble des biens et services produits sur un territoire. Notons que le PIB ne prend pas en compte seulement la production de biens (matériels ou immatériels) mais aussi les services, aussi bien les services marchands (services payants : coiffeurs, services aux entreprises..) que les non-marchands (rendus par des administrations ou des associations sans but lucratif).
Si les mots ont un sens, la décroissance c’est donc la décroissance du PIB. Une question peut être posée aux partisans de la décroissance : décroître jusqu’où ? Serge Latouche, un des penseurs actuels de la décroissance, a avancé l’idée de revenir « à une production matérielle équivalente à celle des années 60-70 » (1). Pourquoi à cette date ? Une date valable pour tous les pays de la planète ?
La décroissance du PIB, malheureusement nous la connaissons actuellement. Notre pays, comme tous les pays de la zone euro, est en récession : la croissance est négative, il y a bien décroissance du PIB. Est-ce une bonne chose pour les peuples ? Si l’on pense, comme les tenants de la décroissance, que la croissance est la source de tous les maux, on pourrait croire que le ralentissement de l’économie est une bonne nouvelle. Or c’est le chômage et la pauvreté qui se développent !
De nombreux besoins non satisfaits
Faut-il baisser la production de biens matériels alors qu’il y a toujours, à l’échelle de la planète mais aussi dans nos pays, des besoins élémentaires non satisfaits ou mal satisfaits l’exemple type en France étant le logement ? Chômage, mais aussi bas-salaires sont alors des questions prioritaires, pas la décroissance. Est-il possible de se loger correctement si les salaires n’augmentent pas, alors que les prix du logement se sont envolés ? Il faut donc construire plus, et augmenter la production de logements. Au moment où le capitalisme crée de plus en plus de pauvreté, est-il bien « décent » de prôner la décroissance ?
Arrivée à un certain niveau de développement, une société exprime aussi des besoins non satisfaits dans le domaine social (éducation, santé, prise en charge quatrième âge…). Là aussi il faut donc augmenter le nombre de services et leur qualité, pas les baisser. Le capitalisme l’a bien compris, il y répond à sa manière. En effet, dans les domaines sociaux, de nombreux secteurs échappaient jusqu’à présent au privé (exemple : maisons de retraite). Le Capital cherche à s’y investir, d’autant que la financiarisation du capitalisme et la baisse de la part attribuée à la rémunération du Travail ces trente dernières années ont entraîné une augmentation importante de la masse de capitaux disponibles. Cette intrusion du Capital dans de nouveaux secteurs entraîne une politique de remise en cause des services publics, de privatisation et d’investissements de capitaux dans des secteurs qui échappaient pour beaucoup au Capital. Problème pour le Capital : la productivité est relativement faible dans ces secteurs sociaux. Du point de vue du Capital, ce n’est donc pas une réponse suffisante sur le long terme à la baisse des taux de profit (au fur et à mesure que le nombre de capitaux investis augmente, leur profitabilité diminue).
Ressources naturelles finies, décroissance obligée ?
Un argument souvent avancé par certains partisans de la décroissance, c’est que la population sur Terre est trop importante. Toutes les prédictions de bornes absolues au développement depuis Malthus se sont révélées fausses, en raison de la capacité de l’homme à trouver de nouveaux usages aux ressources : le travail humain a été remplacé par le travail animal, puis mécanique (2).
L’écologie a eu pourtant pour mérite de nous rappeler que notre planète est finie et que les énergies fossiles, par exemple, ne sont pas inépuisables. Cela entraîne-t-il que la croissance doit nécessairement s’arrêter ? Le mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) est la principale référence scientifique des théoriciens de la décroissance. Une croissance économique matérielle infinie serait impossible dans une Terre limitée. Pour Yves Cochet, député européen EELV : « On n’a pas à choisir si l’on est pour ou contre la décroissance, elle est inéluctable, elle arrivera qu’on le veuille ou non ». Cette position est nourrie par un pessimisme technologique évident.
Pourquoi, à priori, exclure que des technologies beaucoup moins voraces en énergie pourront être développées à l’avenir ? Sans oublier qu’il existe des énergies renouvelables : éolien, marées, et même le solaire (qui n’est pas une énergie produite sur Terre !)…La transition énergétique n’est pas une utopie irréaliste, mais elle nécessite, non pas une décroissance économique, mais des investissements massifs, ne serait-ce que dans l’isolation des habitations, et de nouvelles avancées technologiques (pour l’utilisation du solaire par exemple). Je ne vois donc pas en quoi la décroissance serait inéluctable ni même une réponse aux questions qui se posent à l’humanité en ce début de 21ème siècle !
Citoyen ou consommateur ?
En fait, si la « décroissance » peut rencontrer chez certains de nos concitoyens une écoute attentive, c’est qu’elle peut sembler répondre à l’irrationalité d’un monde où le capitalisme ne donne comme seul but aux citoyens que celui d’être consommateur. TF1vend du temps de cerveau humain disponible à Coca-Cola, pour reprendre des propos bien connus. Et les firmes capitalistes qui recherchent toujours des débouchés nouveaux pour leurs produits incitent à toujours consommer plus. Combattre cela ne se fait pas, selon moi, par la décroissance. Il peut y avoir une croissance sociale et écologique de biens et de services. Le mieux-être ne peut s’identifier perpétuellement au plus-avoir, mais cela n’a rien à voir avec le refus de la croissance.
Les critiques de la « société de consommation » ne sont pas nouvelles, et elles sont nécessaires. Pour certains penseurs de l’écologie politique, elle s’accompagne d’une critique en règle de l’usage démesuré de la technique. On retrouve cela chez Ivan Illich (1926-2002) beaucoup lu dans les milieux catholiques progressistes des années 1960-1970, mais aussi chez le sociologue et théologien protestant Jacques Ellul (1912-1994). La critique radicale du développement et du progrès peut aller même « jusqu’à récuser définitivement ces notions ». Paul Ariès dans « Décroissance ou barbarie (2008) » intitule un de ses chapitres « En finir avec l’idéologie du progrès ».
Développement et progrès
Bien sûr les progrès techniques peuvent conduire à Hiroshima. Bien sûr, il n’y a pas de développement linéaire de l’histoire humaine, le 20ème siècle avec Auschwitz en est un triste exemple. Cela doit-il nous amener à remettre en cause la philosophie des Lumières qui nous légué une certaine conception du progrès » ? Cette philosophie « contient en elle la domestication de la nature et une universalité des valeurs et des droits » (3). Cela reste un socle toujours d’actualité pour le socialiste que je suis.
La critique du productivisme (« un système d’organisation de la vie économique dans lequel la production est donnée comme objectif premier ») est indispensable. Le capitalisme pousse à toujours marchandiser davantage les activités humaines. Or « la nature ne peut être ni objet, comme dans le capitalisme productiviste, ni un sujet théorisé par l’écologie profonde, mais un projet puisque l’homme porte seul la responsabilité de le penser » (3). Il s’agit de travailler à la synthèse entre des objectifs sociaux (un développement au service de tous) et des préoccupations écologiques (une soutenabilité de ce développement). Cela n’implique pas de rejeter les notions progrès et de développement.
Indépendamment même du contenu du rapport Bruntland, la définition du développement « durable » ou plutôt « soutenable » qui en est retenue ne me pose pas de problème. Il est présenté comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il y est à la fois questions de développement et de satisfaction des besoins, tout en tenant compte de notre planète. Voilà qui définit bien les contours d’un développement possible. Cela n’est pas suffisant car ce serait faire l’impasse sur les rapports sociaux dans lesquels sont inscrits les êtres humains. Et si l’on pense avec Marx que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes », le sens à donner à ce développement (profitable au plus grand nombre ou à une minorité) reste évidemment essentiel.
De nouveaux indicateurs
Le PIB ne peut et ne doit pas être le seul indicateur qui doit guider les choix politiques. On parle par exemple d’indice de développement humain . La région des Pays de la Loire a également entamé un travail à propos des nouveaux indicateurs de richesse. Il me paraît évident que pour prendre des décisions politiques, il faut avoir la meilleure analyse possible de la situation dans laquelle nous sommes amenés à intervenir. Le PIB ne peut en aucune façon être suffisant pour appréhender, par exemple, la qualité de vie sur un territoire donné.
Pour autant » bien que le PIB soit critiquable en tant qu’indicateur de bien-être, il contient le produit non-marchand (éducation, santé,..), vecteur d’une socialisation d’une partie de la richesse produite. « En France un quart du PIB est socialisé sous forme de services non marchands et près d’un autre quart est redistribué sous forme de transferts sociaux. » (3)
Travailler moins, travailler tous
Seul le Travail produit des richesses. La force de travail manuelle et intellectuelle est seule productrice de valeur économique. La croissance repose sur la capacité de créer plus de richesses avec une dépense de travail donnée. C’est historiquement la base du progrès social qui permet d’élever, à répartition donnée, le volume de biens et de services disponibles pour chaque membre de la société.
Une société « rationnelle » viserait « à augmenter les gains de productivité mais par d’autres moyens qu’actuellement (par réduction des travaux socialement inutiles plutôt que par l’intensification du travail) et elle pourrait décider de baisser le temps de travail » (4). Marx cite ainsi cette belle devise d’un écrivain anonyme : « une société est d’autant plus riche que l’on y travaille moins longtemps ».
En maîtrisant collectivement ses priorités, une société « rationnelle » changerait aussi le contenu même de la croissance. « Elle pourrait privilégier, outre le temps libre, les services publics au sens large (santé, logement, éducation,…) en réduisant la part des consommations les plus néfastes à l’environnement » (4). La part des activités non-marchandes, c’est-à-dire dont le financement est collectif, pourrait progressivement s’étendre au détriment de la sphère de la marchandise.
Question sociale et question démocratique
Pour résumer, je ne crois pas, comme le pensent les « décroissants », que c’est la recherche de la croissance qui explique le fonctionnement de l’économie capitaliste. C’est la recherche du profit maximum qui reste le moteur de la forme particulière d’économie de marché dans laquelle nous sommes, à savoir le capitalisme. Cette recherche du profit maximum nécessite des gains de productivité croissants. Cela entraîne un besoin constant de « ruptures » technologiques avec de vraies révolutions dans les techniques (vapeur, électricité, internet,…).
Mais cette course aux profits ne permet pas de répondre correctement aux besoins sociaux. La question sociale reste donc la question centrale : quelle répartition des richesses souhaitons-nous ? Autrement dit comment partager les fruits de la croissance ? Quelle part des gains de productivité aux salaires, aux investissements, à la réduction du temps de travail ? Quelle dépense publique (quels sont les services à développer) ? La question sociale est alors indissociable de la question de la démocratie : non seulement qu’est-ce qu’on décide de produire, mais aussi qui décide ce qu’on produit ? Il s’agit donc bien de délibérer sur le contenu de la croissance.
La question n’est donc pas croissance ou décroissance mais bien si on laisse ou non à la seule « main invisible » du marché les choix de ce qui est produit ?
(1) Le pari de la décroissance Serge Latouche (2006) (2) A noter que Dan Brown, dans Inferno (2013), fait la part belle à cette « théorie » de la surpopulation. (3) Les théories de la décroissance Jean-Marie Harribey in Cahiers français, « Développement et environnement » (2007) (4) Récession= décroissance ? Michel Husson (Politis, septembre 2008)
RT @ericthouzeau: L’impasse de la décroissance : Début juillet, j’ai participé à un débat organisé par des amis sur le thème… http://t.co…
Bonjour,
Je viens de faire un assez long commentaire mais je ne sais pas s’il est parmi … car à priori un pb …Je ne refais pas tous le 1er message mais juste quelques points.
La façon d’aborder la question de la décroissance pose un problème. On retrouve tous les arguments classiques utilisés habituellement. Cette approche se situe à mon avis dans le cadre de la société capitaliste alors que l’objectif est de la dépasser, ce qui pose les questions de la consommation, de la place du travail, du « modèle » de société occidentale pour tous,…Je ne reviens pas sur la philosophie des Lumières, une des bases de la révolution bourgeoise et de la mise en oeuvre des prémisses du capitalisme industriel.
Il faudrait aussi discuté sur la toute puissance de la science et de la technologie pour toujours apporter des solutions, dans une planète finie,…
Je ne parle pas du développement durable ou soutenable, qui ne vise surtout pas à mettre en cause le capitalisme mais à l’aménager, à le rendre plus durable … « capitalisme vert »
A priori, d’après ce que j’ai pu lire, la décroissance est une proposition de solution, sans doute avec d’autres (lesquelles ?)pour dépasser le capitalisme. Il n’y a rien d’inéluctable (aujourd’hui on est dans la décroissance imposée avec tous les problèmes qui en découlent) mais c’est bien d’un choix de société qu’il s’agit.
Cette question mériterait d’y passer beaucoup plus de temps, au moins autant qu’à essayer de rendre plus « juste » et plus « social » le capitalisme !!!!
Ce que je viens de lire me prouve qu’il y a au moins une personne ouverte au PS, par contre ce débat est largement dépassé comme le ps d’ailleurs…
Aujourd’hui on lève le moratoire sur les ogm, hier sur les cancers de thyroide en Corse…
Tous les idéaux marxistes sont enterrés depuis longtemps au ps mais il reste quelques idéalistes et des moutons qui votent encore pour eux…mis à part la réduction du temps de travail…
Que dire, mes contemporains jeunes et vieux sont des aveugles, gavés de leur comfort et des produits bas de gamme qu’ils consomment…
Pourquoi me battre pour tous ces démissionaires, ces égoistes pour qui tant de gens sont tombés au champs d’honneur!
Ce qui me rassure c’est que bientôt d’une façon ou d’une autre ils rempliront les cimetières, car leur attitude encouragée par nos dirigeants, creuse leur tombe jour après jour!
Donc comme dirait Marx après le capitalisme la décroissance démographique!
Ou comme le résume certains extrémistes une bonne guerre mondiale et la croissance repart!
Bref, nous allons droit dans le mur,et nous continuons d’accélérer, nous danserons bientôt sur les ruines de ce monde pourri!
Débat intéressant, qui pose assez justement la problématique et les enjeux ,politiques , sociaux , mais aussi philosophiques
C’est effectivement la question du « progrès » qui est au centre du débat : cette notion ,héritée des « Lumières » pense pour la 1ere fois l’humanité et l’histoire non pas en terme de Bien ou Mal mais de « perfectibilié » donc de progrès , progrès qui n’a de sens quelque part que s’il ne dépend pas entièrement de la « bonne volonté » de l’homme , car , là , on peut avoir des doutes …
Il y aura donc une sorte d' »automaticité » du progrès qui est affirmée , et c’est bien celle ci que les effets du capitalisme et les massacres du XXème siècle vont conduire à remettre en cause
Mais il y a une autre compréhension possible de l’idée de progrès , déjà présente au 18ème sicle (même si celui ci reste un peu naivement optimiste)
Cette autre lecture lie toujours le progrès à la fois à une organisation juridique et politique qui « stabilise » les progrès ou acquis et à un effort individuel de chacun pour dépasser la nature ou le donné : le progrès n’est pas un « don du ciel » , mais un acquis de l’humanité
Evidemment , cette 2ème version , un peu austère , a été mise de coté , avec la « bédiction » des forces capitalistes , qui ont , à un certain moment , eu intérêt à développer les loisirs et la « socièté du spectacle »
C’est contre cette socièté du spectacle , qui flatte le consommateur et endort toute résistance , que nous devons lutter
La décroissance n’est évidemment pas une réponse , et je ne vois pas en quoi la production et la consommation des années soixante pourrait constituer un modèle
Il n’y a pas de modèle historique « recopiable » Nous sommes condamnés à le construire en se fondant sur l’idée de citoyenneté
Débat à reprendre et continuer , bien sûr …