Un train pollue vingt fois moins que les camions, et consomme six fois moins d’énergie. Un TGV émet 50 fois moins de CO2 qu’une voiture essence ou diesel. Ces chiffres justifieraient une priorité au développement du ferroviaire.
Le PDG de la SNCF parle de doubler la part du train dans dix ans (1). Il y a en effet urgence à investir dans le ferroviaire. Mais en prend-on le chemin ? Et l’ouverture à la concurrence est-elle un moyen pour y parvenir ? Il est nécessaire de fournir un effort de renouvellement et de modernisation du réseau. Dotée d’un réseau plus récent, l’Allemagne prévoit 86 milliards d’euros sur dix ans (dont trois quarts à la charge de l’État, le reste aux Länder). En France, on parle de seulement 2,8 milliards annuels ! Cette somme ne sera affectée que sur le réseau structurant national, le reste du réseau sera du ressort des collectivités avec des accords avec l’État. L’Autorité de régulation des Transports (ART) estime nettement insuffisant l’effort en faveur de la régénération du réseau ferré.
Fret et concurrence
Le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2006. L’objectif affiché était de faire baisser les prix et rendre le rail plus attractif. C’est un échec, la concurrence n’a pas empêché la poursuite de la baisse du tonnage de marchandises transportées par train.
La bataille pour le maintien du train des primeurs (acheminement de fruits et légumes en wagons réfrigérés Perpignan-Rungis) est emblématique : c’est l’État qui a mis la main à la poche, et la SNCF qui a relancé ce train. Pas le privé ! S’il existe une quinzaine d’opérateurs privés de fret ferroviaire, 93 % du marché est tenu par quatre opérateurs (y compris Fret SNCF), dont trois sont déficitaires. Le principal concurrent du train, ce sont les milliers d’entreprises du transport routier avec des salariés subissant de mauvaises conditions de travail et de salaire. Augmenter la part du fret par le rail ne passera pas par une concurrence entre opérateurs ferroviaires, mais par une réglementation orientant le transport longue distance vers le rail.
Et pour les voyageurs ?
En 2019, l’État a lancé un appel d’offres sur deux lignes dites « d’équilibre du territoire » (Nantes-Bordeaux, Nantes-Lyon), appel déclaré sans suite « en raison d’une insuffisance de concurrence ». Seule la SNCF avait répondu, les opérateurs privés déclarant forfait. Qui peut s’étonner de découvrir que le privé ne se positionnera que là où il peut se remplir les poches, et non pour rendre un service public ? C’est bien ce que comptent faire les opérateurs concurrents de la SNCF sur les Trains express régionaux (TER).
Si l’Union européenne (avec l’accord des différents gouvernements) a fixé à 2023 l’ouverture à la concurrence des trains régionaux, les régions pouvaient jusqu’au 25 décembre 2023 signer une nouvelle convention avec la SNCF de dix ans, comme l’a fait la région Bretagne (jusqu’en 2028). Plusieurs régions ont au contraire décidé d’accélérer l’appel à la concurrence, comme la région PACA. Transdev, qui y a remporté deux lots, va percevoir 10 millions de subventions avant même que le premier train ne roule (en 2025), puis le contrat lui rapportera 50 millions d’euros pendant dix ans. La Région financera l’achat de matériel roulant (10 à 12 rames), ainsi que la construction d’un atelier de maintenance (alors que des ateliers SNCF existent), soit un investissement de 270 millions d’euros dont quatre à la charge de Transdev (2). Dans le cadre de ce type de contrats qui ne sont pas purement commerciaux, l’opérateur est quasi assuré de gagner de l’argent grâce aux subventions de la Région.
Railcoop : fausse bonne solution
Sommée de réduire ses coûts, la SNCF a abandonné de nombreuses liaisons peu rentables. Partant de ce constat, les initiateurs d’une coopérative « Railcoop » entendent redonner vie au transport par rail. La recherche du profit maximum ne semble pas les guider, puisqu’il s’agit d’une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), Railcoop se présentant comme une entreprise ferroviaire citoyenne.
Avec seulement deux locomotives et 25 wagons, Railcoop propose un transport de marchandises entre Toulouse et Decazeville, mais entend devenir un opérateur de transport de voyageurs avec d’ambitieux projets sur huit axes transversaux. Le projet est de faire voyager à des prix proches de ceux de BlaBlaCar, mais en mettant par exemple neuf heures entre Nantes et Lille (deux aller et retour par jour).
Railcoop recherche du matériel d’occasion (le neuf est trop cher), ce qui n’est pas facile. Autre difficulté (selon la coopérative), le recrutement de personnel : « Beaucoup de candidatures mais peu correspondent à nos besoins. Ou bien les candidats réalisent nos contraintes d’horaires ou de distance » (3). Cela demande de gros investissements, une SCIC pourra-t-elle trouver le capital tout en restant indépendante de fonds d’investissements exigeants sur la rentabilité ? L’expérience des radios libres rappelle qu’il ne suffit pas d’être animé de bonnes intentions pour éviter la transformation en entreprises commerciales comme les autres… au risque de rester marginales. Arguant des difficultés financières de Railcoop, une députée LREM a interpellé Bercy pour qu’une dérogation au statut des coopératives rende possible l’octroi d’aides publiques à cette entreprise !
Le marché n’est pas la réponse
Développer le ferroviaire doit être un choix politique. Ce n’est pas le marché qui peut répondre aux besoins de transport écologique, le ferroviaire nécessitant beaucoup d’investissements pour une rentabilité faible. Le maintien d’un monopole public intégré (réseau et exploitation) avec une entreprise publique reste la meilleure solution pour répondre aux immenses besoins d’aménagement du territoire.
1. Jean-Pierre Farandou, La Vie du Rail, 21 janvier 2022.
2. La Tribune des cheminots, octobre 2021.
3. Yann Goubin, La Vie du Rail, 21 janvier 2022.