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Construire une « confiance inébranlable » dans l’avenir

Écrit le 16 septembre 2013 par Éric Thouzeau

Pays de la Loire 2040La Région des Pays de la Loire a engagé un travail de prospective, « Pays de la Loire 2040 ». Je reproduis ici la contribution que j’ai faite dans le cadre de ce débat au sein du groupe socialiste de la Région.

« Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable dans l’avenir ». Jean Jaurès

2025 pour le gouvernement, 2030 pour Nantes Métropole, 2040 pour la Région : nul ne contestera la nécessité de « lever le nez du guidon », de s’extraire du « court-termisme ». Oui, il faut penser, réfléchir, élaborer, pour savoir quel avenir nous voulons construire. Moi-même héritier d’une école de pensée socialiste matricée notamment par les questions de planification, et d’une histoire syndicale qui a vu éclore le concept de planification démocratique dans les Pays de la Loire, je ne peux que partager ce souci de la prospective. Bien sûr, il ne s’agit pas, en faisant cela, d’évacuer les urgences de l’heure, auxquelles il nous faut répondre sans attendre (chômage et précarité du travail notamment).

Si nous ne voulons pas que le futur soit la simple continuité du présent, un présent façonné par le capitalisme financier et son idéologie libérale, il nous faut réfléchir aux ruptures nécessaires avec ce que nous combattons aujourd’hui. La calamiteuse stratégie de Lisbonne au plan européen est exactement l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Pourtant adoptée en 2000, elle était censée faire de l’Union européenne en 2020 la zone « la plus compétitive du monde par l’économie de la connaissance », dans le respect du développement durable. On sait ce qu’il en est advenu : l’Union européenne a connu sa plus grave crise (crise économique avec une grave récession ; crise politique et institutionnelle), et plus personne n’ose reparler de cette stratégie de Lisbonne.

Je n’ai pas pour prétention, dans cette contribution, de faire le tour de toutes les questions qui doivent être traitées dans un exercice de prospective régionale. Je n’en aborderai que quelques éléments.

La question du tissu économique

Il est souvent avancé le fait que, contrairement à l’Allemagne, la France dispose d’un trop petit nombre de PME (petites et moyennes entreprises de 10 à 250 salariés), ou d’ETI (entreprises de taille intermédiaire de 250 à 5000 salariés). Ce qui est exact. Mais pourquoi ? Certains expliquent que l’esprit d’entreprendre est trop peu développé en France. C’est ce que certains répètent à l’envi, sous la forme d’une recommandation : il faudrait « favoriser l’esprit entrepreneurial dès le plus jeune âge ». Je ne partage pas ce point de vue. Je pense qu’il faut surtout libérer l’énergie créatrice des salariés. En effet, le souci d’innover et la créativité dont font preuve un grand nombre de salariés, de l’ouvrier à l’ingénieur, sont trop souvent freinés, découragés, et, en tous les cas, insuffisamment sollicités dans des entreprises soumises à des impératifs de rentabilité immédiate (1).

La lecture de l’excellent livre de Guillaume Duval, « Made in Germany », conforte ce que j’avais essayé de formuler (2) : les PME réellement indépendantes des grands groupes (ni filiales, ni simples sous-traitantes) sont trop peu nombreuses en France. Quant aux ETI indépendantes des grands groupes, elles ne jouent qu’un rôle marginal dans l’économie et les exportations de notre pays. Qu’en est-il dans notre région ? Quel est le type d’entreprises que les pouvoirs publics (État, collectivités) aident le plus ?  Nous savons que, dès que des aides sont accordées aux entreprises, les grands groupes exigent des ristournes sur les produits que leur fournissent leurs sous-traitants (3). Il ne s’agit pas de fustiger l’existence de grands groupes, mais bien de reconnaître, qu’actuellement, ils obéissent trop souvent à des stratégies financières plus qu’industrielles, et qu’ils les imposent en cascades à leurs filiales et sous-traitants. Au plan régional, il nous faut veiller à ce que les aides concourent bien au maintien et au développement d’entreprises réellement ancrées sur le territoire régional, et donc à des emplois stables dans la durée.

La question du financement des entreprises et des particuliers

Chacun sait que les banques privées ne jouent plus, ou jouent moins bien, leur rôle auprès des entreprises. Il est à craindre que les grandes banques continuent très largement à participer aux spéculations internationales. Et sous prétexte des accords de Bâle III (4), elles continuent à justifier leur attitude frileuse quant aux prêts à accorder aux entreprises. Pour les particuliers, il est tout aussi difficile de se voir accorder des prêts. Quel jeune couple, dont les deux membres sont au SMIC (mais ne serait-ce que si l’un des deux est en CDD), arrive à trouver des prêts, pour acquérir un logement par exemple ?

Tout cela ne concerne pas que la Région. Bien sûr ! Il s’agit d’aborder la question de l’action combinée des différents échelons de l’action publique : l’État, la Région, le Département, les agglomérations. Mais la question de la nécessité d’une banque publique avec un échelon régional fort est essentielle. La BPI (Banque Publique d’Investissement), sous sa forme actuelle, sera-t-elle suffisante ?

La question de la transition énergétique

C’est l’un des domaines où la rupture avec le modèle antérieur apparaît évidente. Nous pouvons nous appuyer sur l’important travail déjà effectué par la Région (5). L’essor des énergies renouvelables, en lien avec le développement de nouvelles technologies, est bien évidemment central. Mais il n’y aura pas de transition énergétique possible sans une baisse massive de l’énergie consommée. Cela passe notamment par un chantier colossal d’isolation et de réhabilitation des logements anciens (6). Pour cela, il faut à la fois des salariés du bâtiment formés à toutes ces questions (domaine de compétence de la Région), mais aussi des prêts, et même des aides, aux particuliers et aux bailleurs sociaux. Cela pose à nouveau la question de la nécessité d’une banque publique régionale forte. Cela doit aussi nous interroger sur les aides que la Région accorde déjà dans ce domaine. Comment améliorer leur efficacité et leur volume (car il s’agit bien de travailler à l’avenir à une toute autre échelle), en meilleure coordination avec ce qui est fait par l’État et les autres collectivités ?

Les scénarios de l’avenir

Imaginaires2040Au début du travail de prospective effectué par la Région, et supervisé par le géographe Martin Vanier, il a été défini trois scénarios possibles pour l’avenir de notre territoire : le premier dit de l’excellence, un second de l’ouverture, le troisième de la proximité. Très vite, chacun s’est accordé pour dire que l’avenir souhaitable serait certainement un futur composé de ces trois scénarios possibles. Le socialisme utopique n’a jamais été ma « tasse de thé ».  Je ne pense pas  qu’il faille passer plus de temps à imaginer la Cité idéale qu’à lutter, concrètement, pour changer, ici et maintenant, les conditions de vie des citoyens, et les conditions de travail des salariés. Pour autant, le débat sur la question du modèle de société, du modèle de développement, ne peut pas être écarté. C’est, me semble-t-il, au nom d’une vision centrée seulement sur le scénario de proximité qu’une partie de nos amis écologistes s’opposent à toute nouvelle infrastructure de transport. Dans le débat préparatoire au plan stratégique que nous allons discuter en session plénière du Conseil régional, nous aurons à combattre la vision souvent rétrograde, et toujours conservatrice, des partis de droite. Nous aurons aussi à mener le débat avec nos partenaires de la majorité de gauche. Les questions de la décroissance, de la place des techniques et des technologies, ne doivent pas être esquivées parce qu’un certain nombre de ceux qui se réclament de l’écologie politique portent ces débats. Nous devons y répondre politiquement, sur le fond, et sans anathème. Mais il doit être clair que nous n’avons aucune nostalgie de la société rurale du 19ème siècle. Cela ne doit pas nous empêcher, nous-mêmes socialistes, de répondre au problème bien actuel de la relance, sans le déconnecter de la question du contenu de la croissance (7).

Nous sommes en train de relancer le projet de Parc Naturel Régional Loire-Estuaire, ce qui est une très bonne chose. D’une certaine façon, ce sera l’une des occasions de mettre en œuvre une certaine vision de l’avenir. Ce PNR sera sans doute moins classique que les autres Parcs Naturels Régionaux. Ces parcs sont généralement institués dans des territoires, certes habités, mais essentiellement ruraux. Les projets économiques qu’ils portent sont le plus souvent des projets de développement de l’artisanat, et de soutien à l’agriculture extensive. Dans l’estuaire de la Loire, ce type d’activités ne sera pas à négliger. Mais il y aura aussi à maintenir, à soutenir, des activités industrielles d’importance, dans un environnement fragile (biodiversité, paysages) qu’il nous faut absolument préserver.

En guise de conclusion

Les sirènes de l’extrême-droite risquent d’être fortes à l’approche des élections européennes de mai 2014, rendant alors nos propositions régionales difficilement audibles. Notre travail de prospective régionale doit donc s’insérer dans une perspective européenne progressiste, c’est-à-dire replaçant le citoyen au cœur d’un projet européen de développement durable et solidaire, en rupture avec le libéralisme défendu par Barroso et les siens.

Notre travail consiste à créer les conditions d’un avenir, même pour ceux, et ils sont nombreux dans les jeunes générations, qui pensent qu’ils n’en n’ont pas, ou que leur vie sera nécessairement moins bonne que celle de leurs parents. Il n’y a là aucune fatalité. À condition que nos propositions s’adressent à tous, et pas seulement à celles et ceux qui possèdent un certain capital financier et/ou culturel, et qui savent donc qu’ils s’en « sortiront », même dans le cadre de la société inégalitaire actuelle.

C’est avec cette confiance inébranlable dans l’avenir, dont parlait Jaurès, que nous devons envisager l’avenir des Pays de la Loire !

(1)   De grandes entreprises, comme la SNCF, EDF ou France Télécom, ont-elles-mêmes connu de très grands reculs dans ce domaine. Étant de plus en plus soumises à la « concurrence libre et non faussée » imposée par les libéraux en Europe, elles ont restreint les espaces de liberté, et donc de créativité, qu’elles accordaient auparavant à certains de leurs salariés (notamment techniciens et ingénieurs).

(2)   « PME, vous avez dit PME » http://ericthouzeau.eu/pme-vous-avez-dit-pme/

(3)   Même EDF a été prise la main dans le sac cet été : cette entreprise a exigé, par écrit, une ristourne de ses sous-traitants (sans doute suite au dispositif du crédit d’impôt compétitivité emploi).

(4)   Accords de 2010 pour exiger des banques de disposer de plus de fonds propres.

(5)   Transition énergétique : contribution de la Région des Pays de  la Loire au débat national.

(6)   Le plan Bâtiment adopté par la Région prend en compte cette urgence de la réhabilitation thermique du parc locatif social.

(7)    « L’impasse de la décroissance » http://ericthouzeau.eu/limpasse-de-la-decroissance/

 


2 Comments »

  1. redcloud dit :

    James Hansen du Goddard Institute, nous alertait en 2010 sur le caractère exponentiel et incontrôlable du réchauffement climatique.
    Nous assistons actuellement à l’augmentation des évènements climatiques extrêmes, les coûts qu’ils soient agricoles, sur les infrastructures, entreprises et particuliers grimpent en flèche.

    Il est clair que nous sommes dans une phase relativement modérée du réchauffement, à sont tour le directeur de la NASA nous alertait cet été sur le marqueur de 400ppm de CO2 dans l’atmosphère, marqueur autant symbolique que historique, en effet il faut remonter à quelques millions d’années pour retrouver cette valeure!

    De plus la dégradation générale et fulgurante des écosystèmes, seuls moyens de contrôler le réchauffement, va nous mettre dans une situation inextricable.

    En réalité les mythes de la croissance infinie et de l’optimisme béat, vont porter des coups sévères à nos civilisations qui tendent aujourd’hui à remplacer le réfléchir par la consommation et la solidarité par l’égoïsme .
    Le monde du travail actuellement reflète bien le dogme libéral et notamment dans le social, c’est l’inverse exact des valeurs défendues par les socialistes historiques,
    nous subissons pressions arbitraires, non reconnaissance, humiliations , sans parler des méthodes de management digne de france-télécom.

    En 2004 j’ai participé à la victoire historique d’Auxiette aux régionales , en 2010 cette personne lors du discours de l’entre deux tours, nous disait « mes valeurs ne sont pas en banque » il aurait dû dire elles sont côtés chez vinci, cela m’aurai évité de cinglantes déconvennues!

    Certes je n’ai pas fait l’éloge de ce qui va, certains s’en chargent très bien, alors que penser de 2040 cet avenir me semble des plus sombre tant le fatalisme, l’aveuglement et le renoncement sont cultivés actuellement.

    C’est un monde abimé, pollué, terne et uniforme que nous allons laissé à nos enfants, ils nous maudiront pour cela!

    Le fait est que la mémoire des résistants et de ceux qui sont morts pour défendre nos valeurs d’humanisme, et de l’idée de notre république vie encore et notamment sur cette zone à défendre…

    Actuellement nous sommes dans une situation où nous pouvons encore agir sur notre avenir, mais cette fenêtre se raccourcie de jour en jour .
    Les bons choix doivent être pris maintenant.

    Car tout le monde l’observe , la bêtise, l’acculturation et la haine sont un terreau fertile pour l’extrême-droite, il faut éviter d’y ajouter le désespoir d’un avenir et d’un monde pourri qui à coup sûr finirait d’achever un système à bout de souffle!

  2. […] ci-dessous mon intervention, qui reprend des thèmes que j’ai déjà abordés dans la contribution à ce débat de prospective régionale que j’ai faite en […]

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