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Des territoires pour organiser l’action publique

Écrit le 10 mai 2014 par Éric Thouzeau

reformeterritorialeManuel Valls entend mener une réforme territoriale « à la hussarde », alors que l’on a assisté à un piétinement sur cette question pendant deux ans excepté l’adoption du statut des métropoles et le rétablissement de la compétence générale…que la réforme actuelle supprime à nouveau ! Il est vrai que chaque association d’élus (Association des départements de France et Associations des régions de France notamment) a exprimé des positions souvent contradictoires, le Parti socialiste étant incapable de mettre d’accord ses grands élus qui dirigent ces deux grandes associations.

La baisse des dotations de l’État

Ce débat est important, car il concerne l’action publique sur les territoires et la présence de services publics de proximité. Cependant il ne doit pas cacher l’essentiel de ce qui est prévu par le plan d’austérité de Manuel Valls : la baisse de 11 milliards des dotations de l’Etat aux collectivités locales. 11 milliards sur les 50 milliards de baisse des dépenses publiques du plan Valls, bien que la dette des collectivités  représente moins de 10 % de la dette publique totale (il faut savoir que de par la loi, le budget de fonctionnement des collectivités locales doit être en équilibre). Le budget des collectivités locales représente aujourd’hui 250 milliards d’euros.

Il ne faudrait donc pas que le débat sur les compétences des départements et des régions, sur leur disparition ou la baisse de leur nombre prenne le pas sur ce qui est à mes yeux essentiel : alors que l’investissement public est à 70 % le fait des collectivités territoriales, toute baisse significative des dotations de l’État aura un facteur récessif dans de nombreux territoires où la commande publique est essentielle à la relance économique. Or si la proposition 54 du candidat François Hollande était un engagement à « une nouvelle étape de la décentralisation en associant les élus locaux »,  on y lisait : « un pacte de confiance et de solidarité sera conclu entre l’État et les collectivités locales garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel ». Il y était également question de réformer « la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux régions ». Nous sommes très loin de tout cela dans la réforme annoncée !

Et voilà qu’André Vallini, secrétaire d’Etat à la réforme territoriale, annonce que grâce au « big-bang territorial » 12 à 25 milliards d’économies pourraient être réalisés « à moyen terme » ! Chiffrage sérieux ? Sur quelles bases ? Ce qui est certain c’est que toute restructuration entraîne sur le court terme des surcoûts. En revanche les principales dépenses prises en charge par les Départements (solidarité, collèges..) et les Régions (TER, lycées…), elles seront toujours là sauf à penser que le service rendu à la population doit baisser.

Réformes ou contre-réformes ?

La France doit se réformer disent la Commission européenne et tous les libéraux. Ce qui signifie pour eux : diminuer le rôle de l’État et la place des services publics, baisser le niveau de la protection sociale au profit d’assurances privées. De ces réformes régressives, que l’on peut qualifier de contre-réformes, nous n’en voulons pas !  Quant à la capacité de notre pays à se transformer et à intégrer les évolutions technologiques, et donc à réellement se réformer, elle n’est pas en cause : il suffit de constater les profonds bouleversements des administrations ainsi que des entreprises publiques et privées depuis 30 ans ! La financiarisation du capitalisme contemporain a fait que les investisseurs privés préfèrent trop souvent les placements spéculatifs aux investissements productifs. Si l’on ajoute à cela, le cynisme et la cupidité de nombreux grands patrons toujours plus avides de rémunérations faramineuses et plus soucieux des dividendes à verser aux actionnaires que de projets industriels, on a les vrais problèmes que rencontrent notre pays et qui n’ont rien à voir avec une soi-disant incapacité à se réformer.

L’organisation de la démocratie et de l’action publique dans la République française n’a pas à être figée. Des évolutions sont toujours nécessaires, notamment une clarification des compétences (celles des collectivités, mais aussi celles de l’Etat). Pour autant, est-il raisonnable de vouloir au même moment doubler la taille des Régions et supprimer les départements ? Car chacun le sait, il faut à la fois allier taille suffisante et maintenir la proximité. D’autant que, comme l’écrit Jacques Auxiette : « les Régions françaises sont grandes par leur taille. Avec plus de 25 000 km² en moyenne, elles sont au 2e rang des régions européennes derrière les régions espagnoles et devant les länder allemands ! Avec 2,92 millions d’habitants en moyenne, elles sont les 4e régions les plus peuplées d’Europe. Il y a plus d’habitants dans les Pays de la Loire que dans 68 des 197 états reconnus par l’Onu. Ils sont même plus peuplés que 7 pays de l’Union européenne. Dire qu’il faut fusionner les Régions françaises pour qu’elles aient une taille européenne est une imposture. Même répété cent fois, y compris au plus proche du sommet de l’État, un mensonge ne fait pas une vérité. » (1).

Au risque d’éluder les vrais problèmes auxquels notre pays est confronté, chacun y va de sa carte et redécoupe à loisir l’organisation de la République. Certains semblent avoir pour modèle principal les provinces de l’ancien régime. Comment peut-on comprendre autrement ce discours qui dit qu’il ne faut « plus empêcher la Vendée de retrouver le Poitou » ? Quant à mettre la Mayenne dans une région avec pour capitale Orléans, on croit rêver. Tout ce type de découpage ne tient pas compte de ce qui s’est construit au fil du temps depuis la révolution française, des réalités sociales, économiques et tout simplement humaines contemporaines. La Vendée est aujourd’hui pour l’essentiel tournée vers Nantes par exemple, et la Mayenne certainement pas vers Orléans. Quant au pays nantais d’aujourd’hui, il est non seulement breton mais aussi angevin et vendéen.  Du strict point de vue démographique, « la part des Nantais nés dans en Maine et Loire et en Vendée l’emporte désormais sur celle des natifs des autres départements bretons » (2). Connaître et reconnaître son passé est essentiel, mais « on ne tranche pas les débats d’aujourd’hui en invoquant l’histoire, sauf à s’exposer à bien des périls » (2).

Les territoires, lieux de confrontations sociales

La constitution des régions actuelles date de 1955 (si on excepte celles crées par le Conseil national de Vichy et abrogées à la Libération) (3). La principale question aujourd’hui, c’est comment améliorer l’action publique dans une République où les inégalités sociales s’accroissent. Impossible de faire fi de ce qui fonctionne depuis 60 ans (6), et qui surtout depuis 30 ans a permis une réelle amélioration de nombreux services rendus à la population (éducation, transport,..). Alors que l’avenir des territoires est dans leur capacité à construire une  coordination et une coopération entre eux (4), rien ne serait plus stérile que de penser que redessiner de nouvelles frontières permettra en soi plus d’efficacité.

Aujourd’hui, on peut habiter ici, travailler là, avoir des activités sociales dans un autre lieu. Quel que soit le découpage, il ne reflétera qu’imparfaitement les différents lieux et modes de vie actuels. Et les confrontations sociales ne disparaitront pas pour autant ! Car, ce que le socialiste que je suis craint particulièrement dans tous les débats actuels, c’est la référence à tout bout de champ à la notion d’identité. N’est-il pas temps de mettre en garde contre des visions identitaires qui ont pour but ou au moins pour conséquence de faire croire « qu’il n’y a plus d’ouvriers, plus de patrons » (5) ?

 (1) Tribune de Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire, dans Ouest-France du 24 janvier 2014

(2) « Nantes est-elle bretonne ? (1) et (2)» (2008) Articles d’Alain Croix dans la revue Place publique. Si j’emprunte des références aux articles d’Alain Croix, cela ne signifie nullement qu’Alain Croix est d’une quelconque façon engagé par le point de vue que je développe.

(3) À ce propos, et pour l’anecdote, il semble bien que Pétain était personnellement favorable à une Bretagne à 5 départements, mais les bourgeoisies rennaises et nantaises y étaient hostiles.  

(4) Lire à ce propos les ouvrages de Martin Vanier concernant ce qu’il nomme l’interritorialité.

(5) « Les propagandes nécessaires » Jean de Legge Editions  Le Cherche Midi


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