En Europe, le transport ferroviaire de voyageurs augmente de façon continue depuis une dizaine d’années. Le manque d’investissement dans les infrastructures et la libéralisation du secteur freinent cette progression. Le fret ferroviaire subit toujours une concurrence féroce de la route.
Le 12 mars dernier, le Parlement européen, sur proposition de la Commission, a autorisé l’utilisation de camions plus longs et plus lourds : des méga-camions de 25 mètres de long pesant jusqu’à 60 tonnes. Jusqu’à présent, la législation européenne interdit à un véhicule de plus de 40 tonnes de traverser une frontière sans un accord préalable entre les deux pays concernés. En France, la législation limite les dimensions à 18,75 mètres de long et le poids à 44 tonnes.
Tout cela sous prétexte d’une prétendue décarbonation du transport routier : en augmentant la part de marchandises dans le poids total du camion, la circulation des méga-camions permettrait une réduction de taux de CO2 émis par tonne de marchandise transportée. Raisonnement bien théorique, car, dans les faits, le transport de fret par la route deviendra encore plus concurrentiel, notamment par rapport à des modes de transport plus écologiques, comme le ferroviaire notamment. Sans parler de la nécessité de travaux d’adaptation sur les infrastructures routières avec cette arrivée de camions plus grands. Pour l’instant, la France a toujours refusé la circulation de ces « mégatrucks ».
Le fret attaqué
« Cette menace de méga-camions est à replacer dans le contexte d’un secteur ferroviaire, sous la pression croissante de la libéralisation »1. On ne donne pas au rail les moyens de remplir le rôle attribué par le Green Deal. Ce Pacte vert pour l’Europe proposait notamment de déplacer vers le rail et les voies navigables intérieures jusqu’à 75 % du fret intérieur passant actuellement par la route. Bien au contraire, l’enquête menée par la Commission européenne sur des aides d’État potentiellement illégales accordées à Fret SNCF risque d’entraîner une augmentation du nombre de camions.
En effet, dans le sillage de cette enquête a été établi un plan gouvernemental qui exige que Fret SNCF donne 20 % de son activité à la concurrence, tout en taillant dans ses effectifs. Ce plan signifie la mise à mal de Fret SNCF, un outil pourtant incontournable de la bifurcation écologique. La société par actions simplifiée (SAS) devrait disparaître au profit de deux entités : l’une pour la maintenance des locomotives, l’autre spécialisée dans le fret avec une voilure réduite de 30 % 2.
Vigilance ferroviaire
Un comité de vigilance ferroviaire a été créé en octobre 2018 à l’initiative de la fédération CGT des cheminots. Il s’agissait de contrebalancer ce que le gouvernement véhiculait comme informations à l’occasion de la réforme ferroviaire et du conflit pour s’y opposer. Rappelons que cette réforme a changé le statut de la SNCF d’établissement public industriel et commercial (EPIC) en société anonyme à capitaux publics (SA) divisée en cinq SA en 2020. Le statut de cheminot a été supprimé pour les nouveaux embauchés, et l’ouverture à la concurrence pour les TER et les TGV actée.
En janvier 2024, ce comité a été réactivé dans un contexte où, si le ferroviaire est plébiscité par les citoyens, de nombreuses difficultés l’empêchent de répondre aux attentes de la population (fermeture de guichets, prix trop élevés…). Les menaces sur le fret ferroviaire justifient également la relance de ce comité de vigilance qui associe depuis le début deux associations d’usagers à caractère national et plusieurs associations à caractère régional, mais aussi des partis politiques dont la Gauche démocratique et sociale, Les écologistes, la France insoumise, le Parti Communiste et le Parti socialiste. Les quatre syndicats représentatifs à la SNCF (CGT, Unsa, Sud, CFDT) étaient présents lors de la dernière réunion du comité. Des actions y ont été décidées et présentées lors d’une conférence de presse commune le 29 avril.
Stop à la libéralisation
Le 28 mai, une manifestation de cheminots venus de toute l’Europe se tiendra à Paris. De directive en directive, depuis trente ans, les grandes entreprises ferroviaires historiques ont été déstructurées/restructurées et soumises à concurrence, ce qui n’a en rien amélioré la production ferroviaire européenne, bien au contraire. Cette manifestation sera l’occasion de faire entendre, quelques jours avant l’élection européenne du 9 juin, non seulement la voix des cheminots, mais aussi l’exigence citoyenne d’un service public ferroviaire de qualité, grâce à la présence d’associations environnementales, d’associations d’usagers et des partis politiques aux côtés des organisations syndicales.
1. David Donnez, « La menace des méga-camions », La tribune des Cheminots.
2. http://www.gds-ds.org/service-public-ferroviaire-macron-poursuit-la-casse.