Voici un article sur les municipales à Nantes que j’ai écrit pour la revue Démocratie & Socialisme (numéro de février). Il est d’abord destiné à des lecteurs qui ne connaissent pas nécessairement la situation nantaise.
Depuis plusieurs semaines, les socialistes nantais battent le pavé, montent les escaliers des immeubles et sonnent aux portes : une véritable campagne de terrain se déploie. Il est vrai que Johanna Rolland, actuelle première adjointe au maire de Nantes et à la tête de la liste « Nantes a de l’avenir » (liste de rassemblement PS-PCF-PRG-MRC-UDB), sait que la tâche n’est pas facile pour elle. Succéder à Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes pendant 23 ans et à ce titre porteur d’un bon bilan de maire, mais aussi succéder à Jean-Marc Ayrault aujourd’hui premier ministre d’un gouvernement à la faible popularité.
Une droite en panne d’idées
La droite sort affaiblie de l’ère Ayrault. La conseillère municipale Laurence Garnier a été désignée par les instances nationales de l’UMP aux détriments d’un autre conseiller municipal qui, au final, a bien failli ne pas être sur la liste emmenée par sa rivale. La liste UMP-UDI-PCD comprend aussi un adhérent Modem. Le parti de Bayrou est lui-même affaibli par la démission de deux de ses conseillers sortants, dont l’un a rallié la liste EELV. Un autre responsable du Modem tente de constituer une liste avec des adhérents UDI mécontents des méthodes de Laurence Garnier ! Un conseiller municipal de droite sortant explique : « Il est clair que, entre tendances multiples à l’intérieur de l’UMP, groupuscules de droite et du centre, personnages dont on ne sait plus où ils se situent (vrai-faux ou ex et présents Modem), les listes sont des salmigondis qui ne visent qu’à satisfaire les partis, les egos et à entretenir les espoirs de carrière politique. Quelques membres de la société civile sont mis ça et là en avant en guise de programme… Où sont les projets construits et solides opérationnels du jour au lendemain en cas de victoire ? ». Deux autres listes de droite sont également annoncées, dont l’une d’une conseillère sortante et l’autre d’un chef d’entreprise. Inquiet de cette situation, l’ancien ministre de droite, Bruno Le Maire, de passage à Nantes, questionné sur les divisions de la droite, en a appelé au « vote utile » pour la liste de Laurence Garnier. Cette liste conduite par l’UMP comprend à la 5ème place la porte-parole locale de la Manif pour tous, membre du PCD de Boutin. On notera aussi et surtout que le numéro deux de cette liste est un ancien responsable national du Medef lorsqu’il était DG de France Veolia Eau. Quant à celui qui était il y a peu encore président départemental du Medef, il figure aussi sur la liste UMP. Le signe est clair pour la bourgeoisie nantaise : ses intérêts sont représentés par la liste Garnier. Mais cela ne suffit pas pour faire un programme séduisant pour les électeurs, la droite locale étant toujours en panne d’idées !
La liste d’extrême-droite est conduite par un militant issu de la mouvance « nationaliste-révolutionnaire » (Troisième voie, unité radicale, MNR,..). Le risque est grand qu’une partie de l’électorat ne voie en lui qu’un moyen de crier son désarroi (ou sa haine de l’autre), en votant pour cet authentique héritier du fascisme français.
A gauche, l’éternelle question du rassemblement
A gauche, EELV a décidé de faire cavalier seul contrairement aux municipales précédentes. L’alliance de longue date avec le PS a permis aux écologistes d’avoir un député et un sénateur, et leurs responsables occupaient des places en vue dans l’équipe municipale sortante. Le désaccord acté il y a déjà longtemps sur le transfert de l’aéroport situé aujourd’hui dans le cœur de l’agglomération nantaise, n’a jamais été un motif de rupture des majorités de gestion municipale et régionale. L’autonomie avait déjà été choisie par les écologistes aux élections régionales de 2009, ils font à nouveau le choix de se compter.
Le Parti communiste a choisi la voie du rassemblement de la gauche. Le secrétaire fédéral du PCF, Aymeric Seassau, a ainsi déclaré : « Chez nous, il n’y a pas de politique d’austérité. Jean-Luc Mélenchon n’a qu’à venir vérifier. Nantes mérite mieux que des postures nationales ou des règlements de comptes entre socialistes et anciens socialistes…». Le Parti de Gauche, en alliance avec les Alternatifs, la Gauche anticapitaliste et le NPA, présente un ancien militant socialiste, Guy Croupy. La Gauche unitaire ne soutient plus cette liste, mais elle a maintenant un de ses représentants sur la liste EELV conduite par Pascale Chiron. Quant à Lutte Ouvrière, elle annonce une liste conduite par Hélène Defrance.
La dynamique de rassemblement, et c’est tant mieux, est du côté de la liste de Johanna Rolland qui revendique son ancrage à gauche. La campagne doit amplifier cette dynamique militante pour qu’elle se transforme électoralement et fasse reculer l’abstention parmi notre électorat.
Réussir une ville pour tous
Alors que, depuis les années 1980, la population de la France s’est accrue d’environ 8 %, la démographie de l’agglomération nantaise (Nantes et une vingtaine de communes limitrophes) a connu une véritable explosion (17 %). Forte de 554 000 habitants aujourd’hui, Nantes Métropole a gagné 80 000 habitants en moins de vingt ans. Les professions de services concentrent maintenant les deux tiers des emplois. Si les ouvriers restent la catégorie la plus représentée (33 %) dans l’agglomération nantaise, chez les hommes, les cadres et les employés sont en forte progression. Le taux de progression de l’emploi dans l’agglomération est plus élevé que celui de la France, mais comme partout, la part des salariés à temps partiel dans l’emploi, dont une majorité de femmes, a fortement augmenté et dépasse les 20%. Le chômage frappant toujours aux environ de 10% de la population, le développement économique indéniable de l’agglomération nantaise ne profite pas encore à tous. Les coopérations avec la Chambre de commerce ne remplacent pas une politique macro-économique de relance qui devrait être menée au plan national et européen.
En vingt ans, le nombre de personnes résidant à l’extérieur de l’agglomération mais travaillant dans celle-ci a doublé. Ce qui, évidemment, pose avec acuité la question des transports : le tramway a fait son retour dès 1983, avec trois lignes aujourd’hui, mais aussi un réseau de bus en site propre avec une fréquence soutenue. Afin de construire une ville aux « courtes distances », il y a nécessité de densifier cette ville à la fois pour que chacun puisse s’y loger, mais aussi pour limiter l’étalement urbain. A Nantes même, on compte 36 000 logements sociaux, soit 25% des logements. La liste « Nantes a de l’avenir » conduite par Johanna Rolland s’engage à construire 3000 logements neufs, dont 750 nouveaux logements sociaux et 700 logements abordables par an. « Abordable », c’est-à-dire 20% au dessous du prix du marché. Dans les ZAC (zones d’aménagement concerté), il est toujours prévu environ 70% de logements sociaux ou abordables. Cette reconstruction de la ville sur elle-même n’est pas sans conséquence sur la perception qu’ont les nantais de leur ville : attrayante car en mouvement, inquiétante car en mutation. Réinventer chaque jour une ville de la douceur de vivre est nécessaire. La nature en ville est un des objectifs mis en avant par la liste de la gauche, avec la mise en réseau des principaux parcs de Nantes (Nantes a ouvert il y a quelques mois son centième parc). La question de la transition énergétique est au cœur de la question urbaine et de la question sociale, avec l’objectif avancé, par exemple, d’alimenter en énergies renouvelables (notamment par l’extension du réseau de chaleur) 50% des logements sociaux et 40% des logements neufs (et donc de réduire la facture d’énergie payée par les habitants)
Un programme pour l’agglomération sera présenté prochainement, car l’action concertée des villes de gauche est nécessaire, tout comme avec l’agglomération nazairienne, mais aussi avec le Département et la Région, eux aussi animés par des équipes de gauche. Face à la baisse des dotations de l’état aux collectivités locales, Johanna Rolland répond « sobriété » dans la dépense publique. Certes ! Mais jusqu’à quand les collectivités locales gérées par la gauche auront-elles les moyens pour remplir le rôle de protection qu’elles ont toujours joué ? Difficile, même au cours d’une campagne aux forts enjeux locaux, d’ignorer totalement le contexte national.