Pour le numéro de septembre de Démocratie&Socialisme, la revue nationale de la Gauche démocratique et sociale (GDS), j’ai écrit un article dans le cadre d’un dossier « Revenir aux fondamentaux ». Je le reproduis ici : « Croissance ou décroissance : ce n’est pas la question ! ».
Si l’écologie suppose de faire décroître les activités polluantes, nécessite-t-elle une décroissance globale ? Pour justifier une telle approche, certains écologistes mettent en avant une argumentation qui paraît de bon sens : une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Le mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) est la principale référence scientifique des théoriciens de la décroissance.
Pour Yves Cochet, ancien député européen EELV : « On n’a pas à choisir si l’on est pour ou contre la décroissance, elle est inéluctable, elle arrivera qu’on le veuille ou non ». Serge Latouche, un des penseurs de la décroissance, a avancé l’idée de revenir « à une production matérielle équivalente à celle des années 1960-1970 »1. Pourquoi à cette date ? Une date valable pour tous les pays de la planète ?
Une fausse alternative
Pourtant, la révolte des Gilets jaunes en a été la preuve : de nombreux besoins sociaux sont loin d’être satisfaits dans un pays comme la France (sans parler de pays beaucoup moins « riches » que le nôtre) : « Fins de mois difficiles, mal-logement, santé, éducation ». Il faut donc, par exemple, construire beaucoup plus de logements qu’actuellement. Et qui plus est, il faut engager une rénovation thermique d’ampleur pour lutter contre les logements « passoires thermiques » et la précarité énergétique. Ce sont des investissements massifs qui sont nécessaires, dans ce domaine tout comme celui des transports collectifs. C’est bien pour de tels secteurs un surcroît de croissance qui est nécessaire.
Pour nous, à la GDS, le débat n’est donc pas croissance ou décroissance, mais plutôt de distinguer entre différents types d’activité : celles qui doivent disparaître (armement, nucléaire…), celles qui doivent être modérées (automobile…), celles qu’il faut fortement développer (transports collectifs, services publics, formation, santé…)2.
Quel type de croissance ?
Si le PIB ne peut à lui seul dicter une politique de gauche, car très critiquable en tant qu’indicateur de bien-être, il contient le produit non-marchand (éducation, santé…), vecteur d’une socialisation d’une partie de la richesse produite. « En France, un quart du PIB est socialisé sous forme de services non-marchands et près d’un autre quart est redistribué sous forme de transferts sociaux. »3
En maîtrisant collectivement ses priorités, une société « rationnelle » changerait aussi le contenu même de la croissance. « Elle pourrait privilégier, outre le temps libre, les services publics au sens large (santé, logement, éducation…) en réduisant la part des consommations les plus néfastes à l’environnement »4. La part des activités non-marchandes, c’est-à-dire dont le financement est collectif, pourrait progressivement s’étendre au détriment de la sphère de la marchandise.
Démocratie vs capitalisme
Si, par nature, le capitalisme est productiviste, ce n’est pas la recherche de la croissance qui explique le fonctionnement de l’économie capitaliste. C’est la recherche du profit maximum qui reste le moteur de la forme particulière d’économie de marché dans laquelle nous sommes, à savoir le capitalisme néo-libéral.
Cette course aux profits ne permet pas de répondre correctement aux besoins sociaux. La question sociale reste donc la question centrale. Quelle répartition des richesses souhaitons-nous ? Autrement dit, comment partager les fruits de la croissance ? Quelle part des gains de productivité aux salaires, aux investissements, à la réduction du temps de travail ? Quels services publics, et donc quelles dépenses publiques convient-il de privilégier ? Comprise ainsi, la question sociale est indissociable de la question de la démocratie. Qu’est-ce que l’on décide de produire, mais aussi qui décide ce que l’on produit ? Être de gauche, c’est précisément vouloir délibérer collectivement sur le contenu de la croissance.
Le débat n’est donc pas entre croissance ou décroissance. Il est bel et bien de savoir si on laisse ou non à la seule « main invisible » du marché les choix de ce qui est produit.
- Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Fayard, 2006.
- Christophe Ramaux, « Les collapsologues ravalent la politique à un mode religieux », Lemonde.fr, 15 août 2019.
- Jean-Claude Rennwald, Socialiste un jour, socialiste toujours, Éditions de l’Aire, 2019.
- Jean-Marie Harribey, « Les théories de la décroissance : enjeux et limites », Les Cahiers français : documents d’actualité, La Documentation Française, 2007, p. 20-26.