Représentant le réseau de la Gauche démocratique et sociale (GDS), j’ai été invité par le mouvement Génération.s à un débat lors de son université de rentrée. Sur le thème « Fin de la démocratie représentative ? », j’ai eu le plaisir d’échanger avec Mathilde Immer (co-présidente de Démocratie ouverte, et membre du collectif des « gilets citoyens », Edouard Martin (ancien syndicaliste, et ancien député européen). Un débat animé par Emma Ghariani. Je reproduis ici la trame de mon intervention, ce qui ne peut pas résumer l’entièreté des échanges qui ont eu lieu entre les intervenants, mais aussi avec la salle.
Toutes les formations de la gauche tiennent actuellement des universités. Pour GDS ce sera les 16 et 17 novembre à Pau. C’est l’occasion de débats entre différentes sensibilités de la gauche. C’est très bien, mais si c’est pour ensuite que chacun retourne à la construction de sa propre « boutique », c’est désespérant ! La proposition que porte GDS est simple : mettons sur pied sans plus tarder un comité de liaison permanent de la gauche. On y confronterait nos points de vue, déciderions d’actions communes tout en étant capables de débattre de nos divergences. Qu’est-ce qui empêche un tel comité de liaison ? Nous étions bien pour un certain nombre d’entre nous dans les mêmes courants du PS. Et si c’était la 5ème République et le présidentialisme qui fait que chacun veut être candidat ? Sans candidat unique de la gauche en 2022, nous serons condamnés à un nouveau duel Macron-Le Pen. Si ce n’est pas cela que nous voulons, mettons-nous autour d’une table et discutons de comment arrêter la dispersion actuelle de la gauche, et pourquoi pas préparer des primaires pour 2020 ? Commençons tout de suite par un comité de liaison ! La démocratie c’est le respect des uns et des autres. Et la démocratie est la technique qui permet l’unité, malgré les différences et divergences. La démocratie est la condition du rassemblement.
Deuxième remarque préalable : oui nous connaissions une crise démocratique, ainsi qu’une crise écologique. Mais aussi une crise sociale. Comment aujourd’hui quand on est de gauche ne pas s’informer et se former sur la question de cette nouvelle contre-réforme des retraites que prépare Macron ? Comment ne pas s’informer et se former sur la brutale réforme de l’assurance-chômage ?
La question démocratique n’est pas déconnectée de la question sociale. Les secteurs dominats de la bourgeoisie qui ont mandaté Macron pour adapter notre pays au néo-libéralisme le savent : ils sont politiquement minoritaires en France. Mais ils ont décidé de passer en force ! Le néo-libéralisme a en lui cette tentation autoritaire. Si la démocratie pose des obstacles à sa politique en faveur du Capital, il a alors recours à des formes de pouvoir radicales, avec des pratiques autoritaires. C’est ce qui explique la répression violente du mouvement des Gilets jaunes. C’est une caractéristique du capitalisme contemporain, on le constate au niveau international : Bolsonaro, Trump…
Nous avons donc un pouvoir macroniste qui accentue les dérives anti-démocratiques de la 5ème République, en abaissant le rôle du Parlement et des élus du suffrage universel que sont les députés. Il est vrai que des décennies de libéralisation commerciale et financière ont affaibli la puissance des Etats face au poids des multinationales, que la construction libérale de l’Union européenne n’a pas fait émergé un pouvoir politique du Parlement suffisamment fort face à la Commission…Tout cela amène nombre de nos concitoyens à penser que les élus sont impuissants et au final ne servent à rien ! Voire qu’ils seraient complices du système et pourquoi pas « tous pourris » ! C’est ce qui explique que l’idée du « référendum d’initiative citoyenne » (RIC) a autant de succès parmi les Gilets jaunes. A gauche, nous avons longtemps été défiants vis-à-vis des référendums considérés depuis Napoléon 3 comme des plébiscites (lien direct entre un président et le peuple). Le modèle suisse ne nous a jamais séduit (trop de referendums nuit à l’intérêt des électeurs).Si cette questiondu référendum est à nouveau mise en avant, c’est qu’elle exprime une aspiration démocratique des citoyen.ne.s à intervenir dans la vie politique et sociale. La consultation des citoyens sur des sujets précis est une bonne chose. Nous en avons l’occasion, c’est la bataille pour rassembler les 4,7 millions de signatures pour un référendum sur la privatisation d’ADP. La bataille est loin d’être gagnée. Il n’y a plus de temps à perdre !
Le macronisme c’est aussi le recul du pouvoir conquis par les luttes ouvrières et syndicales : moins de délégués du personnel dans les entreprises, suppression des CHSCT, et depuis de nombreuses années (ce n’est pas la seule faute de Macron) plus d’élections à la Sécu ou pour les prud’hommes. Les socialistes ont tout de suite compris que la République sociale c’était l’association de la démocratie politique et de la démocratie sociale (jusqu’à la remise en cause du pouvoir du Capital dans les entreprises et dans la société). « Notre action, disait Jaurès, est de compléter la démocratie politique par la démocratie sociale ». Il y a bel et bien aujourd’hui une offensive contre la démocratie politique et la démocratie sociale considérées comme des empêcheuses de « réformer » !
Nous femmes et hommes de gauche, nous devons sans aucune hésitation défendre la démocratie représentative : un humain, une voix ! Le suffrage universel est une conquête démocratique qu’il faut défendre. L’articulation démocratie représentative / démocratie directe (on dit aujourd’hui participative) est vieille comme le mouvement ouvrier. La Commune de Paris a essayé de répondre à cette question. Les Parisiens élisent alors les membres d’un conseil communal. Puis la Commune de Paris énonce que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables » et que leur mandat est impératif. La Commune n’a duré que deux mois, mais certain des principes qu’elle a énoncés (contrôle, révocabilité) méritent sans doute d’être réintroduits dans les débats que nous devons avoir pour la 6ème République à laquelle nous aspirons.
L’élévation du niveau d’éducation du salariat, la multiplication des moyens d’information amènent nombre de citoyens à pouvoir et vouloir donner leur avis sur des sujets d’ordre local, national voire mondial. C’est une bonne chose. Une société mobilisée, c’est ce à quoi nous aspirons même si nous savons que la mobilisation des salariés dans une entreprise, des citoyens dans la ville connaît nécessairement des hauts et des bas. C’est le rôle des syndicats et des partis politiques de maintenir de façon durable quelle que soit le degré de mobilisation les aspirations au changement, à la justice sociale.
Il faut donc aujourd’hui compléter les mécanismes de décision du ressort des élus par des propositions de consultation effective des citoyens. C’est ce qui se débat dans nombre de localités dans le cadre de la préparation des municipales par exemple. Nul n’est besoin de se référer à la démocratie athénienne, car les femmes et les esclaves en étaient exclus. Quant au tirage au sort, il peut être un des moyens pour en amont d’une décision éclairer les termes d’un débat. Il ne me semble pas qu’il doive être érigé en modèle pour la prise de décision. Et je m’interroge réellement sur le tirage eau sort pour désigner une structure décisionnelle dans un parti politique. La démocratie dans un parti est basée sur la confrontation des points de vue, et sur l’organisation de cette confrontation qui me paraît esquivée par le tirage au sort.
Bonjour Eric,
Je viens de lire avec un grand intérêt le résumé de ton intervention lors de l’Université de rentrée de Génération(s). Non seulement avec grand intérêt mais aussi et surtout avec un grand plaisir! Au delà de l’effective et indispensable nécessité d’associer systématiquement dans nos actions, propositions et pratiques « Démocratie sociale et démocratie politique », ton intervention sur sur la démocratie représentative est essentielle dans l’actuel débat, et notamment dans le cadre de la préparation des municipales. Certes, l’idée de démocratie participative n’est pas à rejeter globalement mais son adoption sans réserves m’apparaît depuis longtemps comme une utopie dangereuse dont les conditions à terme peuvent se révéler dramatiques pour la « Démocratie ».
Amitiés
Hervé