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La dérive libérale du projet européen

Écrit le 6 avril 2017 par Éric Thouzeau

Convié récemment à intervenir dans une « causerie » sur l’Europe, je me suis replongé dans l’histoire de l’Union européenne. Cela m’a amené à réexaminer les différentes étapes de l’évolution du projet européen dans un contexte de libéralisme économique dominant depuis les années 80.

Les « pères fondateurs » (1) avaient en tête l’Europe politique et, plus précisément, fédérale. Avec une conviction qui est que  « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait » (2). C’est ce qui explique la création en 1951 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). L’échec en 1954 de la Communauté européenne de la défense (CED) produit une première évolution : on passe des solidarités partielles en général à la conviction que les solidarités économiques sont seules possibles. Le traité de Rome (1957) institue la Communauté économique européenne qui institue le marché commun européen et définit les bases de la politique agricole commune mise en œuvre en 1962. Puis ces solidarités économiques elles-mêmes ont évolué pour s’approcher de plus en plus des seuls liens du marché (3). C’est ce qui amène dès les années 1980 la politique communautaire à s’attaquer aux entreprises publiques. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas dans la logique du marché !

Le social sacrifié

L’Acte unique de 1986 n’avait aucune dimension politique ou sociale, il avait pour seul objectif de réaliser un marché unique des capitaux en Europe. L’Acte unique de 1986 stipule que les actes nécessaires à l’achèvement du grand marché sont pris à la majorité. Restent toutefois soumis à l’unanimité certains sujets relevant traditionnellement de la souveraineté des États, tels que la fiscalité ; mais aussi, sur la demande britannique, les droits des salariés. Ainsi a-t-on abandonné juridiquement, institutionnellement, le discours officiel qui prétendait que l’Europe se construisait sur ses deux jambes, économique et social.

Depuis plus de trente ans, les dirigeants de la social-démocratie européenne de plus en plus convertis au social-libéralisme font le même serment : « Pour sauver l’Europe, nous avons été obligés de différer l’harmonisation sociale mais c’est promis, c’est juré, le social sera l’objet du prochain traité ». Trente ans d’expérience pendant lesquels la politique sociale a été à chaque fois sacrifiée sur l’autel de la libre circulation des capitaux (Acte Unique, 1986), de la monnaie unique (Maastricht, 1992) ou du pacte d’austérité budgétaire (Amsterdam, 1997).

L’austérité érigée en principe

On a continué à nous dire que la politique et le social ne pourraient qu’accompagner l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale. Pourtant le sommet de Nice (2001) accouchait d’une souris, celui de Barcelone (2002) de régressions : recul de l’âge de la retraite de 5 ans et libéralisation du marché de l’électricité. L’élargissement se faisait sans progrès social, bien au contraire. Le traité de Lisbonne (2007) était, pour l’essentiel, la copie conforme du Traité constitutionnel européen (TCE) qui venait d’être rejeté par une très large majorité d’habitants de notre pays. Enfin, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG en 2012), qui concerne les pays de la zone euro, précise la fameuse « règle d’or budgétaire » : chaque État doit non seulement avoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB, mais la limite du déficit « structurel » autorisé est portée de 1 % à 0,5 % ! Objectif totalement inatteignable mais l’important est bien d’enfermer les états dans une « discipline » budgétaire… qui entend perpétuer des politiques d’austérité dans toute l’Europe.

Depuis le début de la construction européenne, un pari était clairement énoncé : la construction de l’Europe économique et monétaire engendrerait automatiquement l’Europe politique et l’Europe sociale. Un pari qui a échoué.

Cela nous condamne-t-il à un choix qui serait sortir de l’euro et de l’UE (ce que propose l’extrême-droite française) ou bien accepter le diktat libéral (comme Fillon et Macron le font chacun à leur manière) ? Certainement pas ! (4)

(1) Ces « pères de l’Europe » sont essentiellement issus de la démocratie-chrétienne

(2) Déclaration prononcée par Robert Schuman, ministre des affaires étrangères français, le 9 mai 1950.

(3) Propositions pour une autre Europe, Yves Salesse, éditions du Félin 1997

(4) J’y reviendrai dans un prochain article


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