On ne peut comprendre la fonction du rapport Spinetta qui si l’on a en tête les objectifs des néo-libéraux regroupés autour de Macron : accélérer l’ouverture à la concurrence dans le ferroviaire, baisser les protections des salariés pour permettre aux grands groupes privés plus de profits, affaiblir le mouvement syndical. (Dans un deuxième article, nous reviendrons sur les vraies raisons de l’actuelle dégradation de la qualité de service de la SNCF).
Si la SNCF a été créée en 1938, c’est avant tout parce que les compagnies privées avaient fait faillite. Pourtant une vague néo-libérale en Europe a remis à l’ordre du jour l’idée de compagnies ferroviaires privées pour casser les monopoles. L’Union européenne a préconisé dès le début des années 90 l’ouverture à la concurrence (directive 91-440). C’est de là qu’est venue aux intégristes libéraux, par analogie au transport aérien, l’idée de séparer l’infrastructure du transporteur. Une telle idée (jamais mise en avant hors de l’UE) est stupide : si un avion décolle bien d’un aéroport, la roue d’un train ne se sépare pas du rail…sauf en cas de déraillement ! C’est à partir de ce moment que les compagnies ferroviaires ont payé des péages au gestionnaire d’infrastructure, avec l’idée qu’ainsi plusieurs compagnies pourraient faire circuler des trains sur les mêmes voies. Un oubli majeur : le transport ferroviaire est un transport guidé, les liens entre le gestionnaire de l’infrastructure et la compagnie qui fait circuler le train sont nécessairement étroits.
Un bilan jamais fait
Le bilan du gestionnaire d’infrastructure Réseau ferré de France (RFF) totalement extérieur à la SNCF-transporteur est négatif. Et a généré paperasserie, bureaucratie. Une preuve, s’il en était besoin que le libéralisme est souvent facteur d’inefficacité. Le personnel d’encadrement cheminot se plaint à juste titre de passer la plus grande partie de son temps en « reporting ». La solution mise en avant depuis la fin de RFF, avec SNCF Réseau et SNCF Mobilités (Voyageurs, Gares et Connexion, Logistics…) n’est guère plus convaincante car elle maintient une trop grande séparation entre toutes les activités ferroviaires. D’autant qu’une activité n’a pas le droit, directive européenne oblige, de compenser les éventuelles pertes d’une autre activité.
L’ouverture à la concurrence dans le fret ferroviaire, effective depuis quelques années en France, n’a en aucune façon permis de redresser cette activité. Il n’y a eu aucune volonté politique de transfert modal de la route vers le rail. Résultat : les routes sont encombrées de camions. Une nouvelle preuve que laisser faire les « lois du marché » est incompatible avec une vraie politique de développement durable et de transition écologique. Le bilan européen de la concurrence n’a jamais été vraiment fait. En Allemagne, la Deutsche Bahn (avec l’appui du gouvernement allemand) a gardé l’essentiel du marché. En Angleterre, l’infrastructure a très vite été renationalisée mais le bilan des compagnies privées est toujours extrêmement négatif pour les voyageurs (1).
Refuser l’alternative : le privé ou la fermeture
Le rapport Spinetta confirme la volonté gouvernementale de se dégager de toutes les lignes par trop déficitaires. Ce sont pourtant des lignes d’aménagement du territoire, qui participent au désenclavement. La SNCF, à qui on demande toujours plus d’économies, les a négligées, a réduit le nombre de trains qui y circulent. Et moins il y a de trains, moins il y a d’usagers réguliers et plus le déficit de la ligne s’accroît. Le choix va être proposé aux Régions : soit la ligne ferme, soit les Régions en confient la gestion à des opérateurs privés. Circuler sur Nantes-Pornic par exemple (et ne faire que cela) est nécessairement moins cher que ce que facture la SNCF (un coût de production correspondant au coût moyen de toute la SNCF). D’autant que le personnel sera moins bien payé. Le processus enclenché ressemble alors à celui de l’aérien où les conditions de salaire et de travail du personnel sont tirées vers le bas (2).
Si les directives européennes vont imposer la mise en concurrence avec le privé pour les TER, elles prévoient aussi la possibilité de la gestion directe en régie par l’Autorité organisatrice du transport (AOT), la Région en l’occurrence.
Macron et la casse sociale
Le deuxième objectif de la « contre-révolution » macroniste est bien celui-là : casser les statuts : celui de la Fonction publique comme celui des cheminots. Le statut des cheminots est une construction historique et sociale. C’est la résultante de la prise en compte de métiers spécifiques aux contraintes particulières (horaires de nuit, week-ends, fériés…) avec la nécessité pour les compagnies privées (avant 1938) puis par la SNCF de retenir leurs agents car les former prend du temps et coûte cher. Pas par des hauts salaires, mais par la garantie de l’emploi notamment. L’entreprise ferroviaire a eu aussi avantage à un départ en retraite assez tôt pour les cheminots afin de disposer toujours d’agents « jeunes » et moins payés que les plus anciens. Dans une entreprise implantée sur tout le territoire et ayant un rôle primordial dans la vie du pays (aujourd’hui ne serait-ce que le rôle majeur des TER), la force du mouvement syndical a permis jusqu’à présent de conserver des acquis, malgré des reculs… toujours insuffisants pour Macron et ses amis.
Les ordonnances anti-travail de Jupiter ont comme conséquence la diminution drastique du nombre de délégués dans les entreprises. 150 000 à 200 000 salariés vont perdre leur mandat (3). A la SNCF, la négociation interne à l’entreprise sur la mise en place du Comité social et économique (fusion des CE, délégués du personnel et CHSCT ) a commencé. Là aussi l’objectif est de diminuer de façon massive la représentation du personnel. Et n’oublions pas que le mouvement syndical cheminot a souvent fourni des militants interprofessionnels.
Affaiblir les syndicats de salariés est un objectif poursuivi depuis toujours par le patronat français. Le président des riches met en œuvre le programme du Medef. Cela n’a rien à voir avec une soi-disant volonté d’améliorer la qualité du service rendu par le ferroviaire.
Reconstruire un service public ferroviaire
Longtemps le ferroviaire a été considéré raisonnablement comme un monopole naturel, car fondé sur l’utilisation d’un réseau au coût très élevé. Un monopole naturel à rendements croissants car le coût moyen de production diminue au fur et à mesure que la quantité produite augmente. Cette approche est totalement contradictoire avec la mise en concurrence généralisée de la compagnie historique.
Un véritable service public ferroviaire nécessite aussi un personnel qualifié et stable, ce qui est contradictoire avec des conditions sociales dégradées. Mais les libéraux ne considèrent plus la SNCF comme un service public.
C’est bien toute la politique néo-libérale des macroniens qu’il faut combattre. Un mouvement social d’ensemble, et unitaire va s’avérer à nouveau indispensable. Tous ensemble, oui !
(1) La Tribune : au Royaume-Uni la privatisation déraille
(2) Ouest-France du 20 février 2018
(3) Ouest-France : une société d’escale rappelée à l’ordre
Prochain article : « défendre et développer le service public ferroviaire »