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Défendre et développer le service public ferroviaire

Écrit le 22 février 2018 par Éric Thouzeau

Dans un article précédent, nous avons montré quels étaient les objectifs réels du gouvernement quand il s’attaque à la SNCF et aux cheminots. Si les atouts du ferroviaire dans notre pays sont indéniables, toute aussi réelle est la baisse de qualité observée depuis quelques années. Comment y remédier ? D’abord en en cernant les vraies causes. Et en faisant le choix du ferroviaire dans une optique de transition écologique. Ce que ne font ni le rapport Duron (qui oublie l’Ouest pour les investissements en infrastructure) ni le rapport Spinetta.

En 2015, un rapport du cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting plaçait le système ferroviaire français parmi les meilleurs en Europe : à la troisième place du podium, derrière la Suisse et la Suède. Trois paramètres avaient été retenus : l’intensité d’utilisation du système ferroviaire, la qualité des services dispensés et la sécurité. À noter que ce classement plaçait la SNCF à la troisième place pour sur le rapport performance/subvention publique. Boston Consulting estimait à 180 euros par habitant le budget de l’État alloué à son système ferroviaire pour une moyenne de 500 euros par an et par habitant en Suisse !

Un système performant qui se dégrade

D’ailleurs, même le rapport Spinetta le reconnaît : « Par de nombreux aspects, le système ferroviaire français est une réussite qui place la France dans une situation enviable… Les trains régionaux (…) ont connu une forte croissance au cours des quinze dernières années. L’augmentation a été de 60% pour les TER. Sur la longue distance, la période 2000-2015 se caractérise par une augmentation globale des trafics ferroviaires d’environ 20% ». Le rapport Spinetta est obligé de le reconnaître : « Les tendances sont favorables » au ferroviaire (croissance démographique, métropolisation, développement durable, intégration modale…).

Pourtant tout ne va pas pour le mieux dans le système ferroviaire français. Il y a une indéniable baisse de la qualité de service. Mais à quoi est-ce dû ? À une entreprise publique qui serait figée ? Le rapport Spinetta parle lui-même d’un système ferroviaire « plusieurs fois réformé depuis 1997 » sans reconnaître qu’une modification incessante des structures couplée à une toute aussi incessante baisse des effectifs (-27 000 en 20 ans*) ont inéluctablement des conséquences négatives sur la qualité de service.

Supprimer des lignes : une vieille rengaine !

Pour le rapport Spinetta : « il est impensable de consacrer près de 2 milliards d’euros à seulement 2 % des voyageurs ». Il appelle de ses vœux un audit des « petites lignes », qui mobilisent actuellement 16 % des moyens consacrés au ferroviaire, voient passer moins de 10 % des trains. Ce sont donc 9 000 des 35 000 km de lignes qui seraient menacées.

Il y a un peu plus de 20 ans, en 1995 les cheminots ont mené une grève victorieuse de 3 semaines. Certains observateurs oublient qu’un des deux motifs du conflit était un projet de contrat de plan État-SNCF prévoyant la fermeture de plus de 6000 km de ligne. Grâce à cette grève générale et unitaire des cheminots, ce contrat de plan a été abandonné : les lignes menacées ont été sauvées et  le TER a pu se développer. En lien avec les Régions, le transport de proximité comme on l’appelle aujourd’hui, permet à de nombreux usagers d’aller à leur travail ou à leurs études. Il n’y a jamais de fatalité. La lutte syndicale et le mouvement social peuvent modifier la donne. Il en sera, j’en suis sûr, de même aujourd’hui.

Les raisons d’un endettement

Depuis plusieurs années, la SNCF est une entreprise qui gagne de l’argent. Pour autant, c’est une entreprise endettée. C’est principalement le résultat des investissements dans la construction de lignes TGV, dont la rentabilité économique n’est pas avérée mais qui a une utilité sociale et économique réelle. L’État a demandé à la SNCF de s’endetter à sa place. Tous les systèmes ferroviaires européens se sont lourdement endettés. Dans les années 1990, l’Union européenne a admis que les États pouvaient reprendre cette dette. En 1994, l’Allemagne a désendetté la Deutsche Bahn à hauteur de 41 milliards d’euros (une DB… qui a très vite reconstitué une dette en investissant dans l’infrastructure). En France, le gouvernement n’a alors pas fait ce choix de peur de ne pas respecter les critères de Mastricht (3 % de déficit public). Tous les ans, les intérêts de cette dette se montent à 1,5 milliards d’euros !

Ne voulant plus investir, l’État a confié à un groupement privé (dans lequel on retrouve notamment Vinci) la construction et l’exploitation de la ligne nouvelle Tours-Bordeaux. On sait que les partenariats public-privé sur le long terme coûtent plus cher que l’investissement public (les TGV ne paient alors pas des péages à SNCF-Réseau mais au concessionnaire privé).

Depuis près de 30 ans, des économies sur l’infrastructure

Des économies sur l’entretien de son réseau, la SNCF en a fait pendant près de 30 ans non seulement en mécanisant de nombreuses opérations de maintenance, mais aussi en baissant les effectifs cheminots assurant la surveillance et l’entretien des installations, en détendant au maximum les cycles d’intervention sur les infrastructures. Cela a eu pour conséquence une dégradation et un vieillissement du réseau qui sont maintenant patents. C’est ce qui explique les limitations de vitesse sur certains « petites » lignes, et le quasi-abandon d’axes tels Nantes-Bordeaux par exemple. Poursuivre dans cette voie n’était plus possible. Il a bien fallu planifier de nombreux chantiers de maintenance (au moins sur les lignes les plus fréquentées).

Un service qui se dégrade

Les nombreux travaux lancés ces toutes dernières années entraînent alors des difficultés dans l’exploitation quotidienne. C’est une des raisons de la dégradation de la ponctualité des trains que tout le monde constate aujourd’hui. Ces travaux permettent tout juste de stabiliser la qualité de l’infrastructure sur les lignes principales du réseau. Les efforts sont encore insuffisants pour disposer d’un réseau fiable et modernisé.

Une autre raison qui explique en partie la dégradation de la qualité, c’est (revers de la médaille) le nombre de trains en circulation qui a augmenté significativement. Cela rend plus difficile un retour à la normale en cas de perturbation, d’autant que le réseau n’a pas été adapté à cette augmentation. Plus de trains sur un réseau souffrant depuis des années d’investissements insuffisants conduisent à de réelles difficultés. L’exemple type, c’est la ligne Angers-Nantes qui est saturée.

On peut aussi parler de défaillances managériales : la SNCF a été façonnée par des techniciens et ingénieurs. Le choix a été fait depuis la fin des années 90 de recruter massivement des profils issus d’écoles de commerce pour diffuser une culture du profit. Or, beaucoup de managers ont désormais une connaissance très faible du fonctionnement réel du ferroviaire. Le « tout ingénieur » avait ses défauts, mais le « tout manager » également, ce qui conduit à des aberrations ou à l’incapacité de mettre en œuvre réellement certaines orientations.

Activité industrielle et de service, le ferroviaire est également confronté comme nombre de secteurs à une difficile transition numérique. Les défaillances sur le matériel ou sur l’infrastructure résultent bien souvent de bugs informatiques ou d’incompréhension entre des systèmes mécaniques et numériques.

Il faut comprendre aussi que la circulation d’un train dépend de la conjonction de cinq conditions : une infrastructure disponible, un quai de gare disponible, la présence d’un conducteur, la présence d’un contrôleur, la présence d’un matériel.  Si l’une des parties manque à l’appel, le service ne peut pas être produit. Or, dans une logique d’économie maximale, chaque partie dépend d’une « business unit » différente. Chacune de ces entités estime au plus juste les moyens dont elle aura besoin et s’autorise de fait à ne réaliser que 90 à 95 % du service. En pratique cela signifie qu’un abonné de travail circulant 5 jours par semaine peut être confronté chaque jour à la défaillance d’une entité qui n’assure pas le service attendu, défaillance qui met en péril la circulation du train. La recherche effrénée d’économies dans chaque service amène aussi à une dégradation de l’offre de transport, ce qui irrite – à juste titre – les voyageurs.

Le train, un atout pour la transition écologique

Le vrai problème du ferroviaire est bien que cette industrie de service coûte structurellement cher, notamment en raison du coût d’investissement et d’entretien de l’infrastructure. C’est un vrai débat politique et économique : payer le coût de ce mode de transport n’est-il pas préférable à une politique qui abandonne toute idée de transfert modal (de la voiture et du camion vers le train), à des décisions qui vont accentuer la concentration sur quelques grandes métropoles au détriment d’un aménagement équilibré du territoire ? Macron ne veut pas de ce débat. C’est celui qu’ensemble, usagers et cheminots, nous devons lui imposer. Tous ensemble !

(*) En 1945 : 491000 cheminots ; en 1974 : 248500 ; en 1998 : 175000 ; aujourd’hui : 148 000 !


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