Lors de la session du Conseil régional, je suis intervenu pour exprimer la solidarité des membres de notre groupe au Conseil régional avec les manifestations intersyndicales du 22 mars. J’ai aussi à titre plus personnel développé les raisons de mon attachement au service public ferroviaire et mon soutien à tous mes collègues qui manifestaient ce jour-là en défense du service public ferroviaire. Je reproduis ci-dessous la trame de mon intervention.
Le 15 mars, les retraités se sont massivement mobilisés pour leur pouvoir d’achat. Aujourd’hui 22 mars, la profession cheminote manifeste à Paris en défense du service public ferroviaire. Dans tous les territoires, les agents des fonctions publiques sont également appelés aujourd’hui à l’action par leurs organisations syndicales. Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les luttes en cours contre la précarisation des statuts et contre les discours stigmatisant pour des professions qui font vivre le service public dans le quotidien de nos concitoyens.
Thatcher les mineurs, Macron les cheminots ?
A titre personnel, je tiens à plus particulièrement saluer mes camarades cheminots. Je devais être à leurs côtés, la session du Conseil régional de ce jour m’en empêche. Pourtant, sachez que le cheminot retraité que je suis n’accepte pas la désinvolture et la précipitation avec laquelle le gouvernement entend traiter une question aussi vitale que l’avenir de l’entreprise publique ferroviaire. La SNCF n’appartient ni au gouvernement, ni aux cheminots. Elle appartient à tous les citoyens de ce pays.
En 1984, Margaret Thatcher s’est « payé » les mineurs. Emmanuel Macron veut « se faire » les cheminots. Le dénigrement anti-cheminot, le « cheminot bashing » orchestré au plus haut sommet de l’état, est inacceptable. J’ai travaillé 35 ans dans cette entreprise publique, 35 ans dans le secteur de la maintenance des infrastructures et j’en suis fier. Fier car j’ai toujours eu le sentiment d’exercer une profession utile socialement. Mais en 1975, date de mon entrée à la SNCF nous étions 248 500 cheminots actifs. Aujourd’hui moins de 150 000. Ce qui signifie avec un trafic en hausse constante, une réorganisation incessante des unités de travail entraînant nécessairement une dégradation de la qualité de service. Y a-t-il un lien avec le statut des cheminots ? Non !
Des économies sur l’entretien de son réseau, la SNCF en a fait pendant près de 30 ans. Cela a eu pour conséquence une dégradation et un vieillissement du réseau qui sont maintenant patents. Les nombreux travaux lancés ces toutes dernières années permettent tout juste de stabiliser la qualité de l’infrastructure sur les lignes principales du réseau. Et des investissements indispensables, du fait de l’accroissement des trafics comme sur la ligne Angers-Nantes ou le barreau-sud de Paris ne sont toujours pas faits ! Y a-t-il un lien avec le statut des cheminots ? Non !
La volonté gouvernementale de se dégager de toutes les lignes par trop déficitaires est évidente. Ce sont pourtant des lignes d’aménagement du territoire, qui participent au désenclavement. La SNCF, à qui on demande toujours plus d’économies, a réduit le nombre de trains qui y circulent. Et moins il y a de trains, moins il y a d’usagers réguliers et plus le déficit de la ligne s’accroît. Y a-t-il un lien avec le statut des cheminots ? Non !
La mise en concurrence une fausse réponse
La mise en concurrence de la SNCF serait pourtant la réponse selon tous les commentateurs libéraux. Notons tout d’abord que la SNCF est aujourd’hui largement concurrencée : par la voiture, le camion, le car, le covoiturage et l’avion. L’Union européenne a préconisé dès le début des années 90 cette ouverture à la concurrence interne au ferroviaire (directive 91-440). C’est de là qu’est venue aux libéraux, par analogie au transport aérien, l’idée de séparer l’infrastructure du transporteur. Une telle idée (jamais mise en avant hors de l’Union Européenne) est stupide : si un avion décolle bien d’un aéroport, la roue d’un train ne se sépare pas du rail…sauf en cas de déraillement ! C’est à partir de ce moment que les compagnies ferroviaires ont payé des péages aux gestionnaires d’infrastructure. Or que plusieurs compagnies fassent circuler des trains sur une même ligne ne peut être que marginal. Car le transport ferroviaire est un transport guidé, les liens entre le gestionnaire de l’infrastructure et la compagnie qui fait circuler le train sont nécessairement étroits.
Le bilan du gestionnaire d’infrastructure Réseau ferré de France (RFF) totalement extérieur à la SNCF-transporteur est négatif. Et a généré paperasserie, bureaucratie. Une preuve, s’il en était besoin que le libéralisme est souvent facteur d’inefficacité. La solution mise en avant depuis la fin de RFF, avec SNCF Réseau et SNCF Mobilités (Voyageurs, Gares et Connexion, Logistics…) n’est guère plus convaincante car elle maintient une trop grande séparation entre toutes les activités ferroviaires.
Le bilan européen de la concurrence n’a jamais été vraiment fait. En Allemagne, la Deutsche Bahn (avec l’appui du gouvernement allemand) a gardé l’essentiel du marché. En Angleterre, l’infrastructure privatisée par les conservateurs a très vite été renationalisée. Quant au bilan des compagnies privées, il est toujours extrêmement négatif pour les voyageurs. Pour en revenir à l’Allemagne, en 1994 l’état allemand a repris la totalité de la dette ferroviaire (34 milliards). La DB a ensuite investi et se retrouve aujourd’hui avec une dette de plus de 20 milliards.
Le ferroviaire atout environnemental
L’ouverture à la concurrence dans le fret ferroviaire, effective depuis quelques années en France, n’a pas été concluante. Elle n’a en aucune façon permis de redresser cette activité. Résultat : les routes sont encombrées de camions. Une nouvelle preuve que laisser faire les « lois du marché » est incompatible avec une vraie politique de développement durable et de transition écologique. Ni le rapport Spinetta, ni le gouvernement ne parlent d’ailleurs des atouts environnementaux du ferroviaire.
Longtemps le ferroviaire a été considéré à juste titre comme un monopole naturel, car fondé sur l’utilisation d’un réseau au coût très élevé. Un monopole naturel à rendements croissants car le coût moyen de production diminue au fur et à mesure que la quantité produite augmente. Cette approche, que l’on retrouvait dans tous les manuels d’économie il y a encore quelques années, est totalement contradictoire avec la mise en concurrence généralisée de la compagnie historique.
Service public, personnel qualifié, statut
Un véritable service public ferroviaire nécessite aussi un personnel qualifié et stable, ce qui est contradictoire avec des conditions sociales dégradées. Mais il est vrai que Emmanuel Macron, alors candidat avait donné une interview où il déplorait que : « nous restons confinés dans une approche étatiste de la solidarité, une approche insuffisamment mobile débouchant sur une société de statuts ». Pas étonnant qu’il veuille mettre à bas le statut des cheminots, construction à la fois historique et sociale, et qui donne à tous les cheminots un fort sentiment d’appartenance. Le supprimer ne réglera en rien les questions posées pour maintenir, améliorer et développer le transport par rail dans notre pays. Ca ne serait que le signe d’une volonté de développer une société ubérisée. Nous ne devons pas l’accepter !