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Macron ne tire aucune leçon de la crise européenne

Écrit le 24 mars 2017 par Éric Thouzeau

Dans un entretien à Libération (1), Emmanuel Macron livre sa vision de l’Europe. Comme tout Bonaparte, même au petit pied, Macron tente de tenir un propos apparemment équilibré. Pourtant, son projet est bel et bien celui de poursuivre et d’accentuer les politiques menées depuis près de 20 ans et qui ont pourtant entraîné une crise du projet européen.

Emmanuel Macron n’hésite pas à fustiger les courants ultralibéraux. Il déclare même qu’au niveau « de la zone euro, il faut avancer sur l’harmonisation fiscale et sociale ». Combien de fois n’avons-nous pas entendu ces propos lors de différentes campagnes électorales notamment depuis la victoire du non en 2005 au Traité constitutionnel européen (TCE) ? Le traité de Lisbonne ne permet pas, par exemple, d’instaurer une harmonisation fiscale par le haut. Il faudrait pour cela l’unanimité des États européens. C’est pourquoi d’ailleurs, Macron anticipe cet alignement par le bas en proposant de diminuer de 8 points l’Impôt sur les sociétés. Un autre exemple : le scandale dû aux conditions dans lesquelles 450 000 travailleurs européens, par exemple, sont détaches dans notre pays n’a fait que s’aggraver rendant compte de la réalité du dumping social au sein de l’Union européenne.

Poursuite des réformes structurelles

Le principal dans les propos de Macron n’est pas là. Mais bien dans sa volonté réaffirmée de poursuivre une politique dite de « réformes ». C’est exactement ce qu’il dit dans son entretien à Libération : « Pour notre part, nous n’avons pas fait la totalité des réformes nécessaires pour renforcer l’économie française : je pense notamment à celles du marché du travail, de la formation professionnelle et de l’éducation. Parce qu’elles nous renforceront, ces réformes nous permettront aussi de rétablir notre crédibilité dans le dialogue avec l’Allemagne. C’est aussi pour cela que la France doit avoir une trajectoire de réduction de ses déficits crédible, tout en menant un effort d’investissement ».

Il est toujours question de réformes. Mais comme le disait Henri Emmanuelli, les partisans du social-libéralisme «ne regardent pas du côté de la réforme mais de la régression. La réforme quand on est socialiste, ça veut dire plus et mieux pas moins et moins payé» (2). On sait maintenant que les réformes « structurelles » sont avant tout des contre-réformes car elles sont non seulement régressives sur le plan social… mais le plus souvent inefficaces sur le plan économique. Ces politiques ont plongé l’Europe dans une quasi-stagnation et ont accru le chômage de masse. Pour les tenants de la pensée économique dominante, ce serait parce qu’il n’y a pas eu suffisamment de « réformes » ! Le remède ne marche pas, il faut pourtant en augmenter les doses !

Pour  Romaric Godin, rédacteur en chef-adjoint à La Tribune : « Emmanuel Macron applique sa « grammaire » apprise lorsqu’il était banquier d’affaires : le problème de l’investissement est un problème lié à la compétitivité-coût et à la fiscalité. Baissez le coût du travail et la fiscalité sur les entreprises et vous verrez abonder les investissements.  Sauf que rien n’est moins sûr […]. Faut-il rappeler que la crise de 2007 n’est pas une crise de la dépense publique excessive ou de la compétitivité de la France […] la financiarisation de l’économie et la prédominance de la priorité donnée à l’actionnaire, a conduit à un recul de l’investissement productif et à un affaiblissement généralisé de l’économie réelle. » (3). Je partage totalement cette analyse.

Projet d’une « grande » coalition droite-gauche 

Macron ne propose ni plus ni moins que la poursuite de la politique menée toutes ces dernières années. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’une fraction grandissante de la classe dirigeante française en est arrivée à la conclusion qu’il faut une grande coalition pour aller plus loin et imposer au pays encore plus de réformes structurelles, en prenant exemple sur l’Allemagne de Schroëder (4). Macron est l’instrument de ce projet bien exprimé par l’ancien PDG de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa  « Tous les pays qui réussissent… le font car il existe une union de la droite et de la gauche, dans des positions centristes très différentes des idéologies un peu extrêmes qu’on peut avoir en France » (5).

Au Parti socialiste, certains préfèrent rejoindre directement Macron, d’autres font le choix d’attendre pronostiquant, si le candidat d’En Marche ! est élu en mai prochain, il n’y aura pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. « C’est l’heure de la coalition » comme le dit Manuel Valls (6). Ce qui est certain, c’est que le projet de soutenir une coalition droite-gauche signifierait, de la part d’une fraction du Parti socialiste, une rupture avec ce qui a constitué un des fondements de l’orientation du PS en France depuis le congrès d’Épinay (1971).

Unité de la gauche indispensable

Rassemblement de la gauche ou collaboration avec  la droite. Ce débat risque bien d’être celui des prochains mois. Au sein du Parti socialiste, mais plus largement dans toute la gauche. La division de la gauche, l’absence de candidature commune de la gauche à la présidentielle est dans ce cadre une terrible erreur qui ne peut que renforcer le projet de Macron et des forces sociales qui le soutiennent. Est-il trop tard pour que la raison l’emporte à gauche ?

(1) Interview d’Emmanuel Macron à Libération du 24 mars 2017

(2) Le travail du dimanche, je peux voter contre  

(3) Emmanuel Macron et la finance : plus qu’un problème personnel

(4) Macron ou l’idée d’une grande majorité centriste (article de Christakis Georgiou dans Démocratie&Socialisme de mars 2014)

(5) La France doit agir, Jean-Louis Beffa, Paris, Seuil, 2013 pp 95-140.

(6) Valls n’apportera pas son parrainage à Hamon

 


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